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Échanger, partager, discuter,
évaluer sont des attitudes courantes en contexte de pédagogie
de projet, de sorte que l'aménagement des lieux va bien
au-delà d'une simple redisposition des éléments
physiques de la classe et se traduit par de fréquents
déplacements liés aux nécessaires échanges
entre les membres des équipes, de même qu'entre
les équipes elles-mêmes. Ces déplacements
ont des conséquences directes sur le bruit dont
le niveau devient plus élevé. Si la gestion du
bruit n'a cessé d'être au coeur des préoccupations
des enseignants soucieux de mettre en place les conditions les
plus susceptibles de favoriser l'apprentissage des élèves
dont ils ont la charge, elle constitue une préoccupation
cruciale en contexte d'apprentissage par projet. En effet, ce
dernier repose sur une nécessaire interaction entre les
membres de ce qu'il est désormais convenu d'appeler une
communauté d'apprentissage. La classe, véritable
communauté d'apprentissage, fonde en effet son organisation
sur une conception sociale du savoir, lequel, quoique s'édifiant
selon les individus à des rythmes différents, ne
peut être que le résultat, toujours provisoire,
destiné donc à être prolongé, d'un
consensus. La notion de consensus présuppose un partage
de l'information et, par le fait même, une collaboration
dans l'édification du savoir, une co-élaboration,
pourrait-on dire, qui, replacée dans le cadre spécifique
de la classe, crée au sein de celle-ci une dynamique particulière
qui remet forcément en question son mode de fonctionnement.
Des multiples changements résultant
de ce nouveau contexte pédagogique, le bruit est certainement
l'un des plus perceptibles et, dans le meilleur des cas, l'un
des plus représentatifs, car il est, en quelque sorte,
le signe de l'activité des "chercheurs" de la
classe. Cependant, considéré d'un point de vue
traditionnel qui veut que le silence soit le signe représentatif
d'une classe au travail, le bruit qui règne dans les lieux
où l'on privilégie l'approche par projet ou l'apprentissage
coopératif risque d'apparaître aux yeux du néophyte
comme un signe d'indiscipline ou d'anarchie. C'est, du moins,
la perception que risquent d'avoir les enseignants qui privilégient
l'enseignement magistral et pour lesquels le silence constitue
la règle d'or de l'assimilation du savoir. Pour d'autres,
au contraire, tels les enseignants en sciences pour qui l'apprentissage
de la matière nécessite chez leurs élèves
de fréquentes interactions, la surprise sera peut-être
moins grande. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre, le bruit
marque en quelque sorte une rupture avec la conception traditionnelle
de l'enseignement.
C'est donc dire que l'adaptation au
bruit, qui ne peut être que progressive, ne se fera qu'à
partir du moment où l'enseignant, le stagiaire, l'élève
et les autres intervenants comprendront que ce "bruit"
engendré par la dynamique de l'approche par projet n'est
pas le signe d'une classe mal gérée, mais bien
plutôt une composante essentielle de l'apprentissage par
projet.
Ce postulat étant posé,
il convient maintenant de définir ce qu'il faut entendre
par "bruit". Il importe également de se demander
à l'intérieur de quelles limites le bruit peut
être toléré et selon quels paramètres
il peut mener à une écoute active et, par le fait
même, conduire à un échange enrichissant
entre les membres de la classe communauté d'apprentissage.
Il s'agit donc, on le voit bien, de faire le passage menant du
silence passif à la parole active et à l'écoute,
ces deux dernières étant intimement liées.
C'est donc dire que le bruit ou, dirons-nous désormais,
la prise de parole doit être dirigée, c'est-à-dire
administrée de telle manière qu'elle serve les
intérêts de tous les membres de la classe. La classe
communauté d'apprentissage est donc, tout comme la classe
traditionnelle, soumise à la nécessité de
sa cohérence, laquelle se traduira par l'établissement
consensuel de certaines règles. Le degré de cohésion
de la communauté d'apprentissage sera d'autant plus élevé
et le dynamisme de cette dernière d'autant plus grand
que la mise en place des règles devant permettre une gestion
efficace du bruit résulteront d'un commun accord, chacun
des membres de la communauté les faisant siennes, car
l'apprentissage n'est rien d'autre que le développement
de l'autonomie, autonomie que nous reconnaissons non seulement
dans la capacité de l'élève à se
donner des buts, mais plus fondamentalement encore dans celle
qui consiste à développer les attitudes appropriées
à la réalisation de tels buts.
À cet égard, la gestion
de la parole ne peut plus être du seul ressort de l'enseignant.
Si l'apprentissage par projet fait appel à un mode de
fonctionnement différent, au sein duquel on sollicite
la participation active et effective de l'élève,
alors il va de soi que les règles de fonctionnement quant
aux modalités d'exercice de la parole doivent être
établies de concert avec l'élève. Cependant,
l'exercice de la parole dans le cadre spécifique de l'approche
par projet peut représenter une difficulté pour
l'élève à qui l'on a, jusqu'ici, généralement
demandé d'écouter et à qui l'on demande
dorénavant d'être partie prenante du processus d'apprentissage.
L'exercice de la parole dans le cadre d'un échange constructif
constitue une exigence nouvelle requérant un effort réel
de la part de l'élève appelé à définir
les modalités de ses apprentissages et à les mettre
en uvre. Les exigences ne sont pas moindres pour l'enseignant
dont l'énergie se trouve sollicitée de toutes parts
par une activité pédagogique qu'il doit désormais
partager avec les membres de la classe devenue communauté
d'apprentissage.
La parole a donc un impact social qu'il
importe de ne pas négliger en cherchant à se persuader
qu'avec le temps les choses se placeront. L'enseignant aura,
au contraire, tout intérêt à parler des effets
qu'est susceptible de produire, tant sur lui que sur chacun des
membres de la classe de même que sur la classe tout entière,
le bruit découlant d'une prise de parole collective, et
à ainsi faire prendre conscience aux élèves
de la place et du rôle devant être dévolus
à la parole pour que celle-ci serve les intérêts
de tous. Cette prise de conscience devrait idéalement
conduire à l'élaboration de règles et de
comportements qui tiennent compte de la composition de la classe
- présence plus ou moins grande de leaders, élèves
en difficulté d'apprentissage, élèves passifs
ou turbulents -, de la maturité de la classe, de même
que des particularités physiques du local d'enseignement.
La composition de la classe joue en
effet un rôle important dans l'établissement de
la dynamique de celle-ci. Certaines classes comportent un nombre
important de leaders qui tiennent naturellement à imposer
leur point de vue. D'autres classes regroupent des élèves
plus passifs chez lesquels la prise de parole, toujours dans
le cadre spécifique d'une conception constructiviste de
la connaissance, constitue une exigence à laquelle ils
seront peut-être tentés de substituer le bavardage
oiseux. Dans un cas comme dans l'autre, et dans tous les cas,
devrions-nous préciser, il importe de définir les
rôles devant être tenus par chacun des membres à
l'intérieur de l'équipe pour que celle-ci assume
pleinement sa fonction de communauté d'apprentissage :
en tant que modérateur, animateur, évaluateur,
pour n'en nommer que quelques-uns, chacun des membres de
l'équipe doit non seulement veiller, selon le rôle
qui lui est assigné, à la bonne marche de l'équipe,
mais encore devra-t-il ultimement évaluer l'impact de
son rôle sur le fonctionnement de l'équipe et de
la classe. Cette évaluation pourrait d'ailleurs constituer
un critère d'évaluation dans le cadre de l'auto-évaluation
de chaque élève.
La définition des paramètres
de l'exercice de la parole a, on le voit, une incidence directe
sur la qualité des échanges qui s'effectuent à
l'intérieur du groupe mais également à l'intérieur
de la classe. L'attribution de rôles, si elle rend possible
une distribution et une circulation démocratique de l'information
à l'intérieur de chacune des équipes, ne
met cependant pas ces dernières à l'abri du bruit.
La fréquence des échanges à l'intérieur
de chacune des équipes produit nécessairement une
élévation importante du niveau du bruit au sein
de la classe. Ce niveau peut cependant être abaissé
: une fois les projets mis en place, l'enseignant, après
avoir souligné la promiscuité des membres à
l'intérieur de chacune des équipes, rappelera à
l'ensemble de la classe qu'il est non seulement possible mais
également souhaitable pour le bénéfice de
tous d'adopter un ton de voix suffisamment bas de manière
à ce qu'une équipe en phase de lecture ou d'écriture,
par exemple, ne se trouve pas dérangée par une
équipe en phase de discussion. L'élève se
rend compte alors que l'accomplissement du travail de la classe
communauté d'apprentissage repose sur un respect mutuel
tant entre les membres de l'équipe qu'entre les équipes
elles-mêmes. Dans le mesure ou le savoir est une co-élaboration,
il appert en effet que sa réalisation passe par l'établissement
d'une discipline commune parce que mise au service d'une finalité
commune aux membres de la classe.
L'élaboration des règles
de conduite quant à la prise de parole doit également
tenir compte de la maturité du groupe. Si la gestion de
la parole au sein d'une classe de 1ère secondaire suppose
la prise en compte de paramètres différents de
ceux qui conduiront à l'établissement du protocole
des échanges et des déplacements dans une classe
de 5e secondaire, cette différence demeure toute relative:
la maturité affective d'un groupe de 1ère secondaire
peut être plus grande que celle d'une classe de 5e secondaire,
et, comme le degré de maturité intellectuelle est
subordonné à celui de la maturité affective,
la gestion du bruit pourra demander plus de temps dans le second
cas. Dans tous les cas, cependant, la participation active et
responsable de l'élève à la mise en place
des modalités présidant aux échanges et
aux déplacements physiques tant au sein de l'équipe
qu'entre les équipes elles-mêmes constitue une garantie
de réussite, l'élève apprenant à
définir et définissant les conditions devant mener
à la réussite de ses apprentissages.
Enfin, la gestion du bruit doit tenir
compte des particularités du local d'enseignement. L'enseignant
qui ne dispose que d'une seul local doit faire preuve de plus
d'imagination et de souplesse que celui qui peut répartir
les équipes de sa classe en deux ou plusieurs locaux selon
les besoins de chacune. En outre, un local aux dimensions restreintes
constitue un stress supplémentaire tant pour l'enseignant
que pour les élèves qui doivent composer avec un
niveau de bruit élevé. Même dans les cas
où la classe connaît un bon fonctionnement, il n'en
demeure pas moins que bien des élèves éprouvent
de réelles difficultés à travailler dans
le bruit. Encore là, l'enseignant devra innover : il pourra
envoyer une équipe discuter dans le corridor, par exemple,
afin d'assurer un calme relatif aux équipes en période
de lecture et d'écriture.
Enfin, quelle que soit sa capacité
à trouver des solutions, l'enseignant qui adopte l'approche
par projet se trouve tôt ou tard dans la nécessité
d'établir certains compromis avec ses collègues
dont les croyances seront parfois heurtées par l'activité
des élèves-chercheurs et par le bruit que cette
activité génère. L'approche par projet suppose
en effet une complète redéfinition des lieux et
du temps d'apprentissage. La classe n'est plus ce lieu fermé,
indépendant au sein duquel l'enseignant officie devant
un groupe silencieux et docile, mais un espace, lui-même
constitué de micro-espaces, ouvert à d'autres espaces.
Cette décentralisation extrême requiert une gestion
non seulement commune aux membres de la classe communauté
d'apprentissage, mais aux membres de l'école où
siège cette classe communauté d'apprentissage.
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