III - Les rôles
  Moi, je trouve que tout le monde a sa place. Je trouve que c'est un environnement où tout le monde doit avoir sa place. Si c'est juste quelqu'un qui prend tout l'espace, ça ne marche pas. C'est un environnement de collaboration.
 

L'environnement d'apprentissage comprend certes des ordinateurs, mais également, faut-il le rappeler, des personnes auxquelles sont alloués différents rôles, compte tenu des objectifs à atteindre et des circonstances. 

Le lieu physique est important.  À Protic, chaque élève a sa classe, sa table et son groupe de travail.  C'est désormais l'enseignant qui se déplace d'une classe à l'autre.  Il arrive que les rencontres se tiennent à l'extérieur de la classe. Les déplacements sont liés aux exigences des projets de la classe, mais également aux besoins spécifiques de chaque équipe, de sorte qu'il peut arriver qu'une ou plusieurs équipes ne soient pas présentes en classe en même temps que les autres.

1. Le rôle de l'enseignant

L'apprentissage par projet qui suppose la co-construction des connaissances fait de la classe une authentique communauté où chacun participe à l'établissement des règles de vie, de même qu'à l'élaboration des tâches et des moments d'échanges. La classe, communauté d'apprentissage évolue au rythme de la contribution de tous ses membres. 

Le rôle de l'enseignant dans un tel contexte s'avère multiple et complexe. S'il revient à l'enseignant de mettre en place les conditions propices à la création d'un véritable espace de collaboration entre tous les membres de la classe, celui-ci ne peut naître qu'au sein d'un climat de confiance réciproque. À cet égard, l'approche par projet, parce qu'elle remet la responsabilité de l'apprentissage entre les mains de chaque élève et encourage dès lors une démarche personnelle, permet à l'enseignant d'adapter son enseignement à chacun et favorise ainsi l'établissement d'un climat de respect et de confiance mutuels. 

La maîtrise de situations d'apprentissage de plus en plus complexes correspond au développement progressif de l'autonomie intellectuelle. Celle-ci, qui, comme nous venons de le souligner, ne peut se développer que dans un climat de confiance réciproque, se traduira par une certaine souplesse des rôles, laquelle découle de la reconnaissance des différentes compétences des uns et des autres en matière de construction des connaissances, de même que d'une volonté commune d'y faire appel. Le développement de l'autonomie de l'élève passe en effet par un apprentissage des différents rôles que l'élève sera amené à tenir dans la société. Dans ce contexte, le rôle de l'enseignant consiste à proposer des activités d'apprentissage dans lesquelles l'élève peut faire un exercice significatif de ces différents rôles, c'est-à-dire à s'assurer que ces activités deviennent des instruments d'apprentissage pour l'élève. Pour les enseignants de Protic, apprendre, c'est d'abord apprendre à apprendre dans le contexte d'une collaboration réfléchie. C'est pourquoi ils privilégient l'approche par projet et le travail coopératif qui font tous deux appel à l'exercice et au développement des habiletés individuelles et à la mise en commun de ces dernières pour le bénéfice de la classe. Dans cette perspective, l'enseignant devient un guide spécialisé, attentif à la démarche de chaque élève et à sa mise en relation créatrice avec celle des autres membres de la classe, incitant l'élève à participer et à proposer lui-même des actions concrètes pertinentes à son propre développement ainsi qu'à celui du groupe. Ainsi la communauté d'apprentissage s'édifie sur la base des contributions communes en ce que chacune se construit en nécessaire relation avec toutes les autres. Amener l'élève à établir une relation significative avec le monde, à être en relation- tel nous semble être le rôle de l'enseignant-, n'est-ce pas lui permettre de passer du je au nous?

Si le travail en collaboration est de nature à permettre une construction collective de la connaissance, l'ordinateur, envisagé du point de vue de sa fonction de  communication, peut renforcer cette possibilité. Toutefois, c'est à l'enseignant que revient, ici encore, la responsabilité de concrétiser cette possiblité en regard des objectifs que la classe s'est donnés. Il n'est certainement pas inutile de souligner ici que le rôle de l'enseignant dans un contexte d'apprentissage coopératif en réseau est complexe. La prise en charge de l'apprentissage par l'élève requiert une attention soutenue de l'enseignant à l'endroit de chacun de ses élèves, l'évaluation la plus juste possible des forces et des faiblesses de chacun, la mise en uvre de situations d'apprentissage qui en tiennent compte et qui soient en même temps orientées vers le développement de l'élève au sein d'un contexte de collaboration. L'ordinateur, au même titre que les autres outils d'apprentissage mis à la disposition de la classe, s'inscrit dans cette perspective. Cependant, s'il est clair qu'en aucun cas l'enseignant ne doit être au service de l'ordinateur, ceci ne revient pas à dire que l'utilisation de l'ordinateur ne puisse donner lieu à une transformation significative des pratiques de l'enseignant. Il nous semble au contraire souhaitable que, tout comme le livre dont la lecture est susceptible de conduire à de nouvelles habitudes d'interprétation, l'utilisation de l'ordinateur mène à un élargissement et à une redéfinition du rôle de l'enseignant. L'éducation est un processus de réciprocité : l'homme est façonné par les outils qu'il utilise et qu'il façonne à son tour. Il en va donc de l'ordinateur comme il en va du livre, à cette différence près que le premier ouvre la porte à des interactions difficilement prévisibles et suceptibles de se multiplier à l'infini. Le rôle de l'enseignant, dans un tel contexte, sera de maintenir un équilibre entre la conception qu'il se fait de l'apprentissage, conception issue, toutefois, de sa pratique et donc ouverte à une constante redéfinition, et les possibilités offertes par l'ordinateur qu'il découvre peu à peu et qui sont, elles aussi, de nature à le conduire vers une redéfinition de sa conception de l'apprentissage et, par le fait même, de son rôle au sein de la classe. Si l'on s'entend pour dire que ce ne sont pas les ordinateurs qui ont engendré la communication, en revanche on doit reconnaître qu'ils lui confèrent une signification nouvelle et peuvent dès lors contribuer à en accroître la qualité dans un contexte pédagogique. Cependant, c'est sur l'enseignant que repose premièrement la mise en uvre de cette possibilité. 

Quels que soient les instruments auxquels il a recours, l'enseignant sait pertinemment que c'est de sa capacité à placer les élèves dans des contextes stimulants, c'est-à-dire susceptibles de les amener à développer des habiletés intellectuelles majeures, soit celles de création, d'analyse et de jugement, que dépendent la mise en place et le développement d'une véritable communauté d'apprentissage. En outre, les enseignants  doivent comprendre que l'engagement des élèves dans une construction collective de la connaissance requiert du temps, car il correspond à la maîtrise progressive de l'autonomie aussi bien individuelle que collective. 

À la lumière des éléments de définition du rôle de l'enseignant qui viennent d'être proposés, on voit poindre l'idée, centrale, de médiation. Si nous admettons qu'une pensée n'a de signification que dans la relation qu'elle entretient avec une autre pensée, équivalente ou plus développée, ne sommes-nous pas amenés à considérer l'enseignant comme une pensée médiatrice ayant comme fonction d'amener l'élève à établir une relation significative avec  l'objet de son apprentissage? En retour, la relation que l'élève établit avec cet objet par l'intermédiaire des différents artefacts qu'il est appelé à manipuler devient, pour l'enseignant, l'instrument privilégié de son propre développement. En observant ce qui se passe en classe, l'enseignant est à son tour informé au sens plein de ce mot : non seulement ses observations vont-elles l'amener à dégager des conclusions qui lui permettront d'enrichir sa pratique, mais au moment même où il les formule, il devient à son tour partie prenante du développement de la classe qu'il fait sienne en reconduisant ses conclusions sous la forme de situations d'apprentissage concrètes desquelles il ne se distingue pas. En choisissant de recourir à l'apprentissage coopératif et à la pédagogie de projet, les enseignantes et les enseignants de Protic travaillent à mettre en place des situations de collaboration dont chacun puisse tirer profit tout en contribuant au développement du groupe. La participation accrue des élèves fait en sorte que l'enseignant se retrouve avec beaucoup d'idées, beaucoup de main-d'uvre et de motivation, ce qui fait de la classe un milieu particulièrement vivant qui étonne souvent l'enseignant et le conduit tout naturellement à développer des attitudes visant à soutenir et à renforcer cet esprit de collaboration entre tous les membres de la classe. 

Le rôle de l'enseignant réside donc dans l'établissement d'un dialogue d'une nature toute particulière avec sa classe. Cependant s'il incombe à l'enseignant de mettre en place les conditions d'exercice de ce dialogue, c'est de la relation qu'il établit avec ses élèves que dépendent finalement l'établissement et le développement de ce dialogue, de sorte que l'on peut affirmer qu'il existe une équivalence de nature entre le rôle de l'enseignant et celui de l'élève. L'un et l'autre sont, dans un contexte d'approche par projet, en constante interaction. Le rôle de l'enseignant sera alors de guider cette interaction de manière à ce qu'elle réponde aux objectifs d'apprentissage en coopération que s'est donnés la classe. Interagir pour apprendre, comme le souligne une enseignante de Protic, c'est faire en sorte que puissent être partagés les compétences des uns et des autres autour d'un projet commun, c'est par le fait même faire en sorte que puissent se développer des habiletés nouvelles. C'est, par conséquent, tirer collectivement partie des différences des uns et des autres. Parce qu'elle est partie intégrante du processus d'apprentissage en contexte de projet, l'interaction accroît nécessairement l'efficacité des apprentissages des uns et des autres, chaque contribution pouvant être éclairée, interprétée, critiquée, développée par les autres membres de la classe. Cette interaction contribue par le fait même au développement de la classe tout entière.

C'est ici que le rôle médiateur de l'enseignant revêt tout son sens. Si l'on admet que l'aptitude à élargir le champ de la conscience est fonction d'une capacité à établir des liens entre les choses, il apparaît alors que le rôle de l'enseignant sera de placer l'élève dans des contextes sémiotiques les plus riches possible, de manière à ce que ce dernier puisse se doter d'une intrumentation qui lui permette d'accéder à des apprentissages de niveau supérieur. Ce rôle, aucune machine, si efficace, si spécialisée soit-elle, ne peut l'exercer d'elle-même; en revanche, l'enseignant ne saurait définir son rôle à l'écart du contexte de sa pratique, de sorte qu'il ne peut faire l'économie d'aucun des éléments de ce contexte. Fournir à l'élève tous les moyens susceptibles de l'amener à une démarche dynamique de l'apprentissage, lui donner accès à une information riche et diversifiée, le placer dans des situations d'apprentissage où il sera amené à manipuler et à organiser cette information et ainsi à réfléchir sur ses apprentissages, tels sont les objectifs que poursuivent les enseignants et les enseignantes de Protic.

2. Le rôle de l'élève

Que font ces élèves en classe ? Si l'école a pour fonction de préparer les élèves à vivre au sein d'une société qui fait appel à la participation de chacun, alors les situations d'apprentissage qu'elle propose à l'élève doivent refléter cet état de fait. C'est, nous semble-t-il, le cas de l'apprentissage par projet où chacun doit apporter une contribution originale. À ce titre, chaque élève devient indispensable à la bonne marche de l'équipe et de la classe. 

Qu'en est-il du cours? L'élève n'assiste plus au cours, mais il le construit à partir des objectifs définis dans le curriculum. Il n'exécute plus une tâche déjà planifiée par l'enseignant, mais la conçoit et la réalise. On peut dire qu'il est en projet, au sens le plus fort de cette expression. Expression que ne désavouerait certes pas le fondateur du pragmatisme qui écrivait, il y a déjà près d'un siècle : " Exactement comme nous disons qu'un corps est en mouvement, et non que le mouvement est dans un corps, nous devrions dire que nous sommes en pensée et non que les pensées sont en nous ". 

Lorsque l'élève possède une connaissance suffisante de la matière à couvrir, il participe au choix du projet, à la division des tâches et assume la responsabilité de la partie de travail qui lui est attribuée à sa manière qui lui est propre. Mais encore? Il fait de la recherche, liant ses connaissances antérieures à des références nouvelles variées (livres, rencontres, sites Internet). Comme il sera appelé à le faire dans le milieu du travail, il a recours à la démarche scientifique dans le traitement de la partie du projet qui lui est impartie. 

Le projet Protica Jones, mis en place à l'école Les-Compagnons-de-Cartier dans le cadre du cours de géographie de première secondaire, constitue, à cet égard, une illustration intéressante de la manière avec laquelle les élèves construisent leurs connaissances dans un contexte d'apprentissage par projet assisté par l'ordinateur en réseau. Précisons dès maintenant que le but de ce projet était d'amener les élèves à découvrir et à approfondir les principaux éléments de géographie physique et humaine qui forment le monde. La classe décida que le résultat final de ce travail de recherche se traduirait par la publication d'un atlas intégrant les différents thèmes du programme de géographie. Chacune des équipes devait étudier de façon plus particulière une région ou un pays. À l'intérieur de ces équipes, chaque élève se voyait attribuer une spécialité. Compte tenu de la disparité des éléments géographiques qui caractérisent chaque pays, une présentation de l'état des recherches de toutes les équipes de travail devait régulièrement être faite devant la classe. Ainsi l'équipe qui travaillait sur l'Italie fut amenée à expliquer le fonctionnement des volcans aux autres élèves de la classe, tandis que l'équipe qui travaillait sur le Brésil présenta les caractéristiques du climat tropical. Comme il s'agissait d'un projet qui s'étendait sur plus de six mois et qui intégrait la majeure partie du contenu du programme de géographie, les élèves se trouvaient donc à construire ensemble et de façon progressive leurs connaissances géographiques.

Durant la réalisation du projet, les élèves eurent à utiliser l'ordinateur régulièment. Étant donné que la plupart des élèves n'avaient que peu de connaissances en  informatique, l'enseignant orienta le travail vers les applications simples de l'ordinateur. Comme c'est souvent le cas, le logiciel de traitement de texte devint l'outil principal à partir duquel les élèves purent construire, modifier ou corriger leur travail. Pour la recherche de l'information et des images, les élèves avaient accès à des Cd-rom, au réseau Internet ainsi qu'à la bibliothèque. Ils utilisèrent également un numériseur d'images afin de pouvoir utiliser les illustrations puisées dans les livres. L'utilisation d'un canon projecteur fut permis lors des présentations périodiques. Le projet qui se traduisit finalement sous la forme d'un atlas suscita tant d'intérêt qu'il fut proposé à nouveau l'année suivante. Cette fois-là, la classe décida que le projet se concrétiserait sous la forme d'une page Web.

Comme on peut le voir, l'apprentissage en collaboration ne consiste pas seulement, pour l'élève, à partager ses connaissances avec ses pairs, mais, non moins essentiellement, à se préoccuper de son apprentissage aussi bien que celui de la classe tout entière. C'est ainsi qu'il prépare des feuilles d'étude, un atelier ou encore un travail écrit à partager. En accord avec les principes de l'apprentissage coopératif, il fait fréquemment des exposés devant de petites équipes ou devant la classe. Il participe également à l'évaluation des travaux de ses pairs en donnant son avis sur la démarche de travail ou de coopération, sur la qualité du support visuel, sur l'efficacité du texte de l'exposé. Au besoin, il fait un commentaire écrit qui sera déposé dans le portfolio. La connaissance du travail des autres contribue à l'enrichissement de ses travaux, de ses connaissances et de sa vision du monde qui l'entoure comme en témoignent les propos suivants :

  Souvent, on donne nos commentaires à la fin d'une présentation pour mentionner comment on pourrait faire pour s'améliorer une fois de plus. Nous disons parfois des choses négatives, car il faut tout simplement les améliorer. On soulève les points positifs qu'on devrait garder. Ces commentaires sont faits pour nous aider.
 

L'élève réfléchit fréquemment à la qualité de ses apprentissages, ce qui lui permet de mettre en uvre des moyens de développer ses habiletés. Ses réflexions seront déposées dans son portfolio. 

À l'occasion, avec les membres de son équipe, il travaille au sein d'un univers plus étendu que celui dont dispose généralement un élève du secondaire. La réalisation d'un site Web sur les phares du St-Laurent, avec l'aide de la garde côtière, constitue un bon exemple de la contribution des élèves à la communauté.

L'élève développe ainsi, peu à peu, des qualités personnelles (métacognition) et intellectuelles (création, analyse, jugement) et, enfin, des habiletés sociales (accueil, sens critique, engagement au sein d'actions constructives).

Enfin, il nous a semblé que les élèves semblaient plus heureux dans un contexte où leur participation est fortement sollicitée.

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