1. Le rôle de l'enseignant |
L'apprentissage par projet qui suppose
la co-construction des connaissances fait de la classe une authentique
communauté où chacun participe à l'établissement
des règles de vie, de même qu'à l'élaboration
des tâches et des moments d'échanges. La classe,
communauté d'apprentissage évolue au rythme de
la contribution de tous ses membres.
Le rôle de l'enseignant dans un
tel contexte s'avère multiple et complexe. S'il revient
à l'enseignant de mettre en place les conditions propices
à la création d'un véritable espace de collaboration
entre tous les membres de la classe, celui-ci ne peut naître
qu'au sein d'un climat de confiance réciproque. À
cet égard, l'approche par projet, parce qu'elle remet
la responsabilité de l'apprentissage entre les mains de
chaque élève et encourage dès lors une démarche
personnelle, permet à l'enseignant d'adapter son enseignement
à chacun et favorise ainsi l'établissement d'un
climat de respect et de confiance mutuels.
La maîtrise de situations d'apprentissage
de plus en plus complexes correspond au développement
progressif de l'autonomie intellectuelle. Celle-ci, qui, comme
nous venons de le souligner, ne peut se développer que
dans un climat de confiance réciproque, se traduira par
une certaine souplesse des rôles, laquelle découle
de la reconnaissance des différentes compétences
des uns et des autres en matière de construction des connaissances,
de même que d'une volonté commune d'y faire appel.
Le développement de l'autonomie de l'élève
passe en effet par un apprentissage des différents rôles
que l'élève sera amené à tenir dans
la société. Dans ce contexte, le rôle de
l'enseignant consiste à proposer des activités
d'apprentissage dans lesquelles l'élève peut faire
un exercice significatif de ces différents rôles,
c'est-à-dire à s'assurer que ces activités
deviennent des instruments d'apprentissage pour l'élève.
Pour les enseignants de Protic, apprendre, c'est d'abord apprendre
à apprendre dans le contexte d'une collaboration réfléchie.
C'est pourquoi ils privilégient l'approche par projet
et le travail coopératif qui font tous deux appel à
l'exercice et au développement des habiletés individuelles
et à la mise en commun de ces dernières pour le
bénéfice de la classe. Dans cette perspective,
l'enseignant devient un guide spécialisé, attentif
à la démarche de chaque élève et
à sa mise en relation créatrice avec celle des
autres membres de la classe, incitant l'élève à
participer et à proposer lui-même des actions concrètes
pertinentes à son propre développement ainsi qu'à
celui du groupe. Ainsi la communauté d'apprentissage s'édifie
sur la base des contributions communes en ce que chacune se construit
en nécessaire relation avec toutes les autres. Amener
l'élève à établir une relation significative
avec le monde, à être en relation- tel nous semble
être le rôle de l'enseignant-, n'est-ce pas lui permettre
de passer du je au nous?
Si le travail en collaboration est de
nature à permettre une construction collective de la connaissance,
l'ordinateur, envisagé du point de vue de sa fonction
de communication, peut renforcer cette possibilité.
Toutefois, c'est à l'enseignant que revient, ici encore,
la responsabilité de concrétiser cette possiblité
en regard des objectifs que la classe s'est donnés. Il
n'est certainement pas inutile de souligner ici que le rôle
de l'enseignant dans un contexte d'apprentissage coopératif
en réseau est complexe. La prise en charge de l'apprentissage
par l'élève requiert une attention soutenue de
l'enseignant à l'endroit de chacun de ses élèves,
l'évaluation la plus juste possible des forces et des
faiblesses de chacun, la mise en uvre de situations d'apprentissage
qui en tiennent compte et qui soient en même temps orientées
vers le développement de l'élève au sein
d'un contexte de collaboration. L'ordinateur, au même titre
que les autres outils d'apprentissage mis à la disposition
de la classe, s'inscrit dans cette perspective. Cependant, s'il
est clair qu'en aucun cas l'enseignant ne doit être au
service de l'ordinateur, ceci ne revient pas à dire que
l'utilisation de l'ordinateur ne puisse donner lieu à
une transformation significative des pratiques de l'enseignant.
Il nous semble au contraire souhaitable que, tout comme le livre
dont la lecture est susceptible de conduire à de nouvelles
habitudes d'interprétation, l'utilisation de l'ordinateur
mène à un élargissement et à une
redéfinition du rôle de l'enseignant. L'éducation
est un processus de réciprocité : l'homme est façonné
par les outils qu'il utilise et qu'il façonne à
son tour. Il en va donc de l'ordinateur comme il en va du livre,
à cette différence près que le premier ouvre
la porte à des interactions difficilement prévisibles
et suceptibles de se multiplier à l'infini. Le rôle
de l'enseignant, dans un tel contexte, sera de maintenir un équilibre
entre la conception qu'il se fait de l'apprentissage, conception
issue, toutefois, de sa pratique et donc ouverte à une
constante redéfinition, et les possibilités offertes
par l'ordinateur qu'il découvre peu à peu et qui
sont, elles aussi, de nature à le conduire vers une redéfinition
de sa conception de l'apprentissage et, par le fait même,
de son rôle au sein de la classe. Si l'on s'entend pour
dire que ce ne sont pas les ordinateurs qui ont engendré
la communication, en revanche on doit reconnaître qu'ils
lui confèrent une signification nouvelle et peuvent dès
lors contribuer à en accroître la qualité
dans un contexte pédagogique. Cependant, c'est sur l'enseignant
que repose premièrement la mise en uvre de cette possibilité.
Quels que soient les instruments auxquels
il a recours, l'enseignant sait pertinemment que c'est de sa
capacité à placer les élèves dans
des contextes stimulants, c'est-à-dire susceptibles de
les amener à développer des habiletés intellectuelles
majeures, soit celles de création, d'analyse et de jugement,
que dépendent la mise en place et le développement
d'une véritable communauté d'apprentissage. En
outre, les enseignants doivent comprendre que l'engagement
des élèves dans une construction collective de
la connaissance requiert du temps, car il correspond à
la maîtrise progressive de l'autonomie aussi bien individuelle
que collective.
À la lumière des éléments
de définition du rôle de l'enseignant qui viennent
d'être proposés, on voit poindre l'idée,
centrale, de médiation. Si nous admettons qu'une pensée
n'a de signification que dans la relation qu'elle entretient
avec une autre pensée, équivalente ou plus développée,
ne sommes-nous pas amenés à considérer l'enseignant
comme une pensée médiatrice ayant comme fonction
d'amener l'élève à établir une relation
significative avec l'objet de son apprentissage? En retour,
la relation que l'élève établit avec cet
objet par l'intermédiaire des différents artefacts
qu'il est appelé à manipuler devient, pour l'enseignant,
l'instrument privilégié de son propre développement.
En observant ce qui se passe en classe, l'enseignant est à
son tour informé au sens plein de ce mot : non seulement
ses observations vont-elles l'amener à dégager
des conclusions qui lui permettront d'enrichir sa pratique, mais
au moment même où il les formule, il devient à
son tour partie prenante du développement de la classe
qu'il fait sienne en reconduisant ses conclusions sous la forme
de situations d'apprentissage concrètes desquelles il
ne se distingue pas. En choisissant de recourir à l'apprentissage
coopératif et à la pédagogie de projet,
les enseignantes et les enseignants de Protic travaillent à
mettre en place des situations de collaboration dont chacun puisse
tirer profit tout en contribuant au développement du groupe.
La participation accrue des élèves fait en sorte
que l'enseignant se retrouve avec beaucoup d'idées, beaucoup
de main-d'uvre et de motivation, ce qui fait de la classe un
milieu particulièrement vivant qui étonne souvent
l'enseignant et le conduit tout naturellement à développer
des attitudes visant à soutenir et à renforcer
cet esprit de collaboration entre tous les membres de la classe.
Le rôle de l'enseignant réside
donc dans l'établissement d'un dialogue d'une nature toute
particulière avec sa classe. Cependant s'il incombe à
l'enseignant de mettre en place les conditions d'exercice de
ce dialogue, c'est de la relation qu'il établit avec ses
élèves que dépendent finalement l'établissement
et le développement de ce dialogue, de sorte que l'on
peut affirmer qu'il existe une équivalence de nature entre
le rôle de l'enseignant et celui de l'élève.
L'un et l'autre sont, dans un contexte d'approche par projet,
en constante interaction. Le rôle de l'enseignant sera
alors de guider cette interaction de manière à
ce qu'elle réponde aux objectifs d'apprentissage en coopération
que s'est donnés la classe. Interagir pour apprendre,
comme le souligne une enseignante de Protic, c'est faire en sorte
que puissent être partagés les compétences
des uns et des autres autour d'un projet commun, c'est par le
fait même faire en sorte que puissent se développer
des habiletés nouvelles. C'est, par conséquent,
tirer collectivement partie des différences des uns et
des autres. Parce qu'elle est partie intégrante du processus
d'apprentissage en contexte de projet, l'interaction accroît
nécessairement l'efficacité des apprentissages
des uns et des autres, chaque contribution pouvant être
éclairée, interprétée, critiquée,
développée par les autres membres de la classe.
Cette interaction contribue par le fait même au développement
de la classe tout entière.
C'est ici que le rôle médiateur
de l'enseignant revêt tout son sens. Si l'on admet que
l'aptitude à élargir le champ de la conscience
est fonction d'une capacité à établir des
liens entre les choses, il apparaît alors que le rôle
de l'enseignant sera de placer l'élève dans des
contextes sémiotiques les plus riches possible, de manière
à ce que ce dernier puisse se doter d'une intrumentation
qui lui permette d'accéder à des apprentissages
de niveau supérieur. Ce rôle, aucune machine, si
efficace, si spécialisée soit-elle, ne peut l'exercer
d'elle-même; en revanche, l'enseignant ne saurait définir
son rôle à l'écart du contexte de sa pratique,
de sorte qu'il ne peut faire l'économie d'aucun des éléments
de ce contexte. Fournir à l'élève tous les
moyens susceptibles de l'amener à une démarche
dynamique de l'apprentissage, lui donner accès à
une information riche et diversifiée, le placer dans des
situations d'apprentissage où il sera amené à
manipuler et à organiser cette information et ainsi à
réfléchir sur ses apprentissages, tels sont les
objectifs que poursuivent les enseignants et les enseignantes
de Protic.
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2. Le rôle de l'élève |
Que font ces élèves en classe ? Si l'école
a pour fonction de préparer les élèves à
vivre au sein d'une société qui fait appel à
la participation de chacun, alors les situations d'apprentissage
qu'elle propose à l'élève doivent refléter
cet état de fait. C'est, nous semble-t-il, le cas de l'apprentissage
par projet où chacun doit apporter une contribution originale.
À ce titre, chaque élève devient indispensable
à la bonne marche de l'équipe et de la classe.
Qu'en est-il du cours? L'élève n'assiste plus
au cours, mais il le construit à partir des objectifs
définis dans le curriculum. Il n'exécute plus une
tâche déjà planifiée par l'enseignant,
mais la conçoit et la réalise. On peut dire qu'il
est en projet, au sens le plus fort de cette expression. Expression
que ne désavouerait certes pas le fondateur du pragmatisme
qui écrivait, il y a déjà près d'un
siècle : " Exactement comme nous disons qu'un
corps est en mouvement, et non que le mouvement est dans un corps,
nous devrions dire que nous sommes en pensée et non que
les pensées sont en nous ".
Lorsque l'élève possède une connaissance
suffisante de la matière à couvrir, il participe
au choix du projet, à la division des tâches et
assume la responsabilité de la partie de travail qui lui
est attribuée à sa manière qui lui est propre.
Mais encore? Il fait de la recherche, liant ses connaissances
antérieures à des références nouvelles
variées (livres, rencontres, sites Internet). Comme il
sera appelé à le faire dans le milieu du travail,
il a recours à la démarche scientifique dans le
traitement de la partie du projet qui lui est impartie.
Le projet Protica Jones, mis en place à l'école
Les-Compagnons-de-Cartier dans le cadre du cours de géographie
de première secondaire, constitue, à cet égard,
une illustration intéressante de la manière avec
laquelle les élèves construisent leurs connaissances
dans un contexte d'apprentissage par projet assisté par
l'ordinateur en réseau. Précisons dès maintenant
que le but de ce projet était d'amener les élèves
à découvrir et à approfondir les principaux
éléments de géographie physique et humaine
qui forment le monde. La classe décida que le résultat
final de ce travail de recherche se traduirait par la publication
d'un atlas intégrant les différents thèmes
du programme de géographie. Chacune des équipes
devait étudier de façon plus particulière
une région ou un pays. À l'intérieur de
ces équipes, chaque élève se voyait attribuer
une spécialité. Compte tenu de la disparité
des éléments géographiques qui caractérisent
chaque pays, une présentation de l'état des recherches
de toutes les équipes de travail devait régulièrement
être faite devant la classe. Ainsi l'équipe qui
travaillait sur l'Italie fut amenée à expliquer
le fonctionnement des volcans aux autres élèves
de la classe, tandis que l'équipe qui travaillait sur
le Brésil présenta les caractéristiques
du climat tropical. Comme il s'agissait d'un projet qui s'étendait
sur plus de six mois et qui intégrait la majeure partie
du contenu du programme de géographie, les élèves
se trouvaient donc à construire ensemble et de façon
progressive leurs connaissances géographiques.
Durant la réalisation du projet, les élèves
eurent à utiliser l'ordinateur régulièment.
Étant donné que la plupart des élèves
n'avaient que peu de connaissances en informatique, l'enseignant
orienta le travail vers les applications simples de l'ordinateur.
Comme c'est souvent le cas, le logiciel de traitement de texte
devint l'outil principal à partir duquel les élèves
purent construire, modifier ou corriger leur travail. Pour la
recherche de l'information et des images, les élèves
avaient accès à des Cd-rom, au réseau Internet
ainsi qu'à la bibliothèque. Ils utilisèrent
également un numériseur d'images afin de pouvoir
utiliser les illustrations puisées dans les livres. L'utilisation
d'un canon projecteur fut permis lors des présentations
périodiques. Le projet qui se traduisit finalement sous
la forme d'un atlas suscita tant d'intérêt qu'il
fut proposé à nouveau l'année suivante.
Cette fois-là, la classe décida que le projet se
concrétiserait sous la forme d'une page Web.
Comme on peut le voir, l'apprentissage en collaboration ne
consiste pas seulement, pour l'élève, à
partager ses connaissances avec ses pairs, mais, non moins essentiellement,
à se préoccuper de son apprentissage aussi bien
que celui de la classe tout entière. C'est ainsi qu'il
prépare des feuilles d'étude, un atelier ou encore
un travail écrit à partager. En accord avec les
principes de l'apprentissage coopératif, il fait fréquemment
des exposés devant de petites équipes ou devant
la classe. Il participe également à l'évaluation
des travaux de ses pairs en donnant son avis sur la démarche
de travail ou de coopération, sur la qualité du
support visuel, sur l'efficacité du texte de l'exposé.
Au besoin, il fait un commentaire écrit qui sera déposé
dans le portfolio. La connaissance du travail des autres contribue
à l'enrichissement de ses travaux, de ses connaissances
et de sa vision du monde qui l'entoure comme en témoignent
les propos suivants :
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L'élève réfléchit
fréquemment à la qualité de ses apprentissages,
ce qui lui permet de mettre en uvre des moyens de développer
ses habiletés. Ses réflexions seront déposées
dans son portfolio.
À l'occasion, avec les membres
de son équipe, il travaille au sein d'un univers plus
étendu que celui dont dispose généralement
un élève du secondaire. La réalisation d'un
site Web sur les phares du St-Laurent, avec l'aide de la garde
côtière, constitue un bon exemple de la contribution
des élèves à la communauté.
L'élève développe
ainsi, peu à peu, des qualités personnelles (métacognition)
et intellectuelles (création, analyse, jugement) et, enfin,
des habiletés sociales (accueil, sens critique, engagement
au sein d'actions constructives).
Enfin, il nous a semblé que les
élèves semblaient plus heureux dans un contexte
où leur participation est fortement sollicitée.
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