La notion de commettants est une variable importante, car elle signifie quà lintérieur dun processus, certaines personnes confient à dautres le soin de rechercher des points de ralliement en vue dexploiter des intérêts communs. Il existe, jusquà un certain degré, une forme de hiérarchisation tacite entre celui ou ceux qui coordonnent une activité dapprentissage ou de travail et celui ou ceux qui y participent pleinement. Souvent, le contexte est formel, voire institutionnel : dune part, des enseignants ou des formateurs qui facilitent lapprentissage; dautre part, des apprenants ou des professionnels qui investissent, en coopération et en collaboration, les sujets devant être approfondis en communauté.
CoVis , un projet éducatif et scientifique développé par la NorthWestern Univesity, en est un exemple typique. Enseignants et élèves se fondent en une communauté dintérêts intelligente dont la définition et lamplitude sénoncent ainsi : " " communities of practice " is a phrase coined by researchers who studied the ways in which people naturally work and play together. In essence, communities of practice are groups of people who share similar goals and interests. In pursuit of these goals and interests, they employ common practice, work with the same tools and express themselves in a common language. Through such common activity, they come to hold similar beliefs and value systems ".
Tout sarticule autour de lintention et dune mise en commun de ressources tout aussi conjointes lune de lautre. Sous cette perspective, ce mode particulier peut ressembler à une forme communautaire dapprentissage qui valorise, de façon prioritaire, la coopération et la collaboration en ligne. En se référant au site du TACT, cette communauté dapprentissage unit ainsi " un groupe délèves (ou de professionnels) et au moins un éducateur ou une éducatrice (ou un formateur ou une formatrice) qui, durant un certain temps et animés par une vision et une volonté communes, poursuivent la maîtrise de connaissances, dhabiletés et dattitudes ".
Sous cet angle, une communauté dapprentissage peut-elle être identitque à une communauté de pratique ? Ces associations et ces partenariats sont-ils semblables ? Dans laffirmative, quels sont leurs fondements communs et leurs constituantes réciproques ? Si elles ont une forme collective distincte, particulière à chacune, comment peut-on distinguer leurs structures pour que lon puisse les départager lune de lautre ?
Ce questionnement est pertinent surtout si lon considère que lapprentissage et le travail sont tributaires dun contexte donné et que les actes denseigner, dapprendre et de travailler ne sont jamais socialement isolés. Ils sont une résultante culturelle, articulée et développée à travers une pratique définie regroupant dans un espace, réel ou virtuel, un nombre indéterminé dacteurs se questionnant et sinterrogeant sur les connaissances, les habiletés et les attitudes requises à lacquisition et à la maîtrise des compétences propres à un domaine donné, qu'il soit d'ordre académique ou professionnel.
Toutes deux peuvent être perçues comme un processus social et conjoint de participation, dengagement, dinterprétation et de mise en commun de ressources en vue de partager des connaissances, des habiletés et des attitudes. Peu importe, les objets technologiques utilisés, la communauté dapprentissage se construit en fonction de buts à atteindre tout comme la communauté de pratique. Toutes deux commandent une expérimentation qui influe, en dernier ressort, sur les finalités de lapprentissage ou de travail. La communauté dapprentissage et la communauté de pratique sont perméables d'un contexte culturel spécifique à partir duquel les participants négocient une éthique et des stratégies signifiantes et concordantes à leurs actions et à leurs activités dapprentissage ou de travail. Coopération, collaboration, échange, entraide, partage,négociation et expertise forment les principaux attributs de ce processus complexe. Léclosion et le maintien de rapports dialogiques fructueux entre les participants favorisent lémergence dune identité physique ou virtuelle, dune appartenance sociale qui se profile à travers une pratique donnée.
À ce chapitre, la communauté dapprentissage peut aussi se développer à partir d'un cadre de référence indéfini ou contraignant : objectifs imprécis d'apprentissage et de travail et/ou trajectoires séquentielles et contrôlées. Une forme de communication et d'échange se propage mais ses retombées sont nettement amoindries par la qualité aléatoire et individuelle de la résolution de problèmes. La hiérarchie, le contrôle, l'autorité, la séquence ou l'absence de direction et de vision occupent tout l'espace de collaboration. Elle devient pratiquement un calque de la communauté d'intérêt. Faute dobjectifs et de moyens à négocier ou de buts présis à atteindre, la quête des sens et des significations et le développement de relations gagnantes/gagnantes sont alors en retrait du processus. Tout se trouve pertuber par ce contexte d'apprentissage et de travail contrôlant, hiérarchique ou indéfini. L'absence dune trajectoire orientée et dune vision partagée, par les participants, nuit considérablement à une résolution de problèmes novatrice et performante. La communauté d'apprentissage peut présenter, quelquefois, des succès mitigés qui sont tributaires du contexte culturel sous lequel cette communauté sest développée (voir à ce propos, les cas recensés dans la section 4.3.4 de létude de Bracewell, Breuleux, Laferrière, Benoit et Abdous , 1998). Selon les circonstances, la communauté dapprentissage nest pas automatiquement synonyme de la communauté de pratique.
Un concept générique, celui de la communauté virtuelle, regroupe au sein d'un même creuset, les formes variées de rassemblement ou de regroupement d'individus exerçant une activité quelconque dans le cyberespace. Selon les conjectures et les conjonctures, cette notion communautaire peut se voir attribuer différents vocables : communauté d'intérêt, communauté d'apprentissage, communauté de pratique.
La communauté d'intérêt se ramifie souvent autour d'un point d'ancrage général, celui de communiquer et d'échanger sur des sujets communs de la vie ou du travail. Très tôt, en l'occurrence, au début des années 1990, les chercheurs se sont intéressés à ces premières manifestations virtuelles et sociales. De nombreuses études ont ainsi été compilées sur ce phénomène sans que la recherche investisse de plain pied les processus générateurs de sens et de significations ayant contribué à l'éclosion de regroupements communautaires sur le Web (Benoit, 1999). En fait, plusieurs chercheurs n'ont canalisé leurs prospections que sur ce qui était perceptible à première vue : les interactions sociales dans le temps et l'espace elles-mêmes issues de la communication et de l'échange d'informations. En tentant de comparer les communautés d'intérêt avec leurs contreparties en face-à-face, la recherche a pratiquement banalisé l'essentiel de ce qui préoccupe quotidiennement les éducateurs et les décideurs organisationnels : comment les participants en réseau utilisent-ils les ressources de la classe, de l'organisation et du cyberespace pour rencontrer leurs objectifs et leurs échéanciers de travail tout en faisant fructifier leurs connaissances pour qu'elles enrichissent celles de leurs pairs ? Sont ainsi restés lettre morte des verbes tels que fixer collectivement des objectifs, négocier et orienter conjointement des choix, promouvoir et définir en concertation une vision partagée, organiser et planifier en équipe des stratégies, résoudre collectivement un cas, une question, un problème, s'approprier des solutions de façon individuelle et collective pour en évaluer la portée et les retombées, consigner l'expérience au sein d'une mémoire organisationnelle ou institutionnelle. Dans ce cadre, des concepts comme la co-gestion, la co-construction des connaissances, la co-expertise, la vision et le leadership partagés et l'intelligence collective, pourtant fondamentaux à une résolution efficace de problèmes en réseau, ont été écartés, voire carrément ignorés.
Ces fiefs ont plutôt été investis par des praticiens qui s'intéressaient au potentiel des communautés virtuelles en tant qu'agent de transformation des pratiques, peu importe qu'elles soient confinées à l'apprentissage ou au travail en réseau (Brown et Duguid, 1991; Lave et Wenger, 1991; Brown et Gray, 1995; Davenport et Prusak, 1997; Wenger, 1996 et 1998, Brown et Duguid, 2000; Laferrière, 2000, Legault, 2000). La recherche sur les actes d'enseigner, d'apprendre et de travailler en réseau a alors investi les notions complexes de la participation et de l'engagement des acteurs, de leur propension à pouvoir personnellement s'identifier et appartenir à une communauté signifiante, des aptitudes des participants à pouvoir négocier et s'approprier ensemble de nouvelles connaissances, de nouvelles habiletés et de nouvelles attitudes pour réaliser une ou des tâches et atteindre des objectifs d'apprentissage ou de travail, préalablement définis, selon l'échéancier prescrit, par un contexte institutionnel ou organisationnel. C'est ici qu'ont été initiées les véritables questions, celles qui ont un lien direct avec la gestion de classe ou de groupes de travail en réseau. Pour la première option, l'institutionnel et l'académique, les chercheurs l'ont généralement associée aux communautés d'apprentissage, pour la deuxième, l'organisationnel et le travail, aux communautés de pratique.
Entre la communauté d'intérêt et la communauté
de pratique, il existe donc des différences notables. Il
ne s'agit pas juste de se communiquer et de s'échanger
de l'information au jour le jour, d'une manière ponctuelle,
au gré des requêtes. Dans une organisation comme
dans une classe, cette information est presque toujours associée
à une problématique de travail issue d'un contexte
défini par des directives et des échéanciers.
Cette problématique projette, dans la virtualité
comme dans le face-à-face, l'élaboration, l'organisation,
la planification d'une mise en commun de ressources pour pouvoir
mettre en application des stratégies qui ont la capacité
de résoudre un problème au profit de l'organisation
ou de la classe. La convergence et la coordination des actions
et des tâches sont mieux orientées, plus conscientes
et mieux comprises. Une volonté conjointe de résoudre,
en tenant compte d'un échéancier déterminé
et de normes prescrites, une question d'ordre professionnel (la
gestion d'une pédagogie de projet dans une classe régulière
ou un problème de gestion lié à l'amélioration
de la qualité d'un service à la clientèle
ou à la commercialisation d'un produit) ou encore un positionnement
plus stratégique (un projet de développement et
d'expansion commercial ou industriel dans le but de pénétrer
un nouveau marché) s'échafaude en collectivité.
Entrent en scène alors les notions de la co-gestion de
l'information, de la co-construction des connaissances, de la
co-expertise entre les participants, de la vision et du leadership
partagés, de l'intelligence collective. En filigrane, ces
concepts tapissent l'arrière-plan des interactions sociales.
Les participants se concertent ensemble pour partager et négocier
des points de vue fondés sur l'expérimentation et
l'expérience. Ils s'échangent des savoir explicites
et tacites, proposent et établissent des stratégies
devant être légitimées et validées
par le groupe et l'autorité décisionnelle. Ils mettent
en application les stratégies et transmettent les résultats
aux parties concernées. Ils en évaluent les retombées
tout en rapportant les limites et les contraintes des actions
déployées et des dividendes transférables
à d'autres problèmes ou à d'autres projets.
La communauté
de pratique en réseau est ainsi tributaire de processus
impliquant à la fois l'individu-participant et la "
communauté " de travail. L'interaction comme l'intention
se polarisent autour de processus conjoints et réfléchis
de participation, d'engagement, d'identification, d'appartenance,
de négociation et d'appropriation. Expérimenter
des pratiques en équipe, négocier des sens et significations,
des valeurs et une éthique de travail, partager des informations,
approfondir et co-construire des connaissances explicites et tacites,
perfectionner des habiletés et des attitudes de travail
deviennent des objectifs réalistes dans le cadre de l'éclosion
et du développement d'une organisation apprenante ou d'une
classe apprenante privilégiant une communauté de
pratique en réseau ou une communauté d'apprentissage
en réseau.