THÈME 4: LE PROCESSUS ET
LA RELATION DE SUPERVISION
L'APPROCHE RÉFLEXIVE DE SUPERVISION
UNE BRÈVE DÉFINITION
L'approche de supervision prônée dans la formation pratique, à Laval, est ce que nous appelons une <<approche réflexive de la pratique>>. Essentiellement, cela signifie que nous privilégions, chez le stagiaire, une dynamique constante entre action et réflexion. L'action, c'est tout ce qui constitue <<les gestes>> que posent le stagiaire en vue de s'initier au rôle et à la tâche d'enseignant; ceux qu'il pose dans la classe, bien sûr, mais aussi dans l'école, de façon générale. La réflexion, c'est l'analyse que le stagiaire fait de ses gestes professionnels en vue de les améliorer, sachant que c'est partant de l'analyse de ce qui s'est passé, en situation, qu'un praticien peut développer sa compétence professionnelle.
L'idée de base de cette approche, c'est qu'on n'apprend pas à enseigner comme un robot qui n'aurait qu'à répéter les gestes, toujours les mêmes. Entre autres, parce que les élèves ne sont pas non plus des robots; ils réagissent à ce qui se passe: à la personnalité de l'enseignant en face d'eux (sa personnalité), au statut qu'il a (stagiaire ou suppléant ou enseignant), à la personnalité et à la dynamique du groupe, aux activités d'apprentissage proposées, à la tempête de neige dehors... Bref, loin d'être un robot qui doit apprendre à répéter les mêmes gestes, le stagiaire, en tant que professionnel, doit apprendre à juger du bon geste à poser au bon moment, en fonction de la situation. C'est pourquoi il doit partir de l'analyse de la situation dans laquelle un geste a été posé pour le comprendre et, s'il y a lieu, l'améliorer.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des habiletés que tout enseignant doit posséder et que tout stagiaire doit s'approprier: savoir communiquer sa matière, savoir tenir compte des difficultés des élèves, savoir individualiser son enseignement, savoir questionner les élèves, savoir donner des consignes claires, etc. Cela veut dire que pour les acquérir, il a besoin d'en faire l'expérience en situation; et s'il n'a pas réussi à exercer son habileté, il a besoin d'en analyser le pourquoi en tenant compte de l'ensemble des composantes de la situation dans laquelle il a tenté de l'exercer. Parce que donner des consignes claires, cela peut paraître simple; on dira au stagiaire: <<parle lentement, donne peu de consignes à retenir, et vérifie si les élèves t'ont bien compris>>. Mais ça ne se passera pas de façon aussi robotique: il sera nerveux en classe, les élèves poseront quelques questions, d'autres événements de classe viendront interférer sur la situation, etc.
Attention! On ne réfléchit pas pour réfléchir; on réfléchit parce qu'une situation d'action fait problème et qu'elle mérite qu'on s'y arrête pour mieux pouvoir retourner dans l'action par la suite. En ce sens, il n'y a rien de si surprenant au processus dynamique de réflexion et d'action. C'est le mode par lequel tout enseignant s'est donné les moyens pour faire en sorte de composer avec les situations qui se présentent, c'est-à-dire analyser ce qu'il faut faire en fonction des ressources qu'on possède, en tant que praticien, et des contraintes que pose la situation dont il est question. La réflexion n'a de sens que si elle est directement reliée au sens à donner à une situation vécue par le stagiaire en vue de lui faire développer un jugement mieux éclairé. Et cela veut dire, nous aurons l'occasion d'y revenir, la capacité d'exercer les habiletés nécessaires dans la mouvance de l'action, la capacité d'appuyer ses gestes sur ce qu'il est comme personne qui développe ses convictions d'enseignant, et la capacité de prendre conscience du modèle éducatif qu'il véhicule dans sa pratique.
LES PHASES DE LA RÉFLEXIVITÉ
LA PHASE PRÉ-RÉFLEXIVE
partir de l'expérience
L'importance de faire <<douter>> le stagiaire
On peut partir de ce que nous, comme enseignant associé, on a perçu et vu en observant une situation de classe du stagiaire; on peut demander au stagiaire de nous dire s'il y a une situation sur laquelle il a besoin de réfléchir. L'important, c'est d'en arriver à ce que la situation questionne le stagiaire. Et ce n'est pas toujours facile si lui n'y voit pas objet de réflexion et d'amélioration. Si le stagiaire ne trouve pas qu'il y a là sujet de réflexion, s'il n'a pas envie d'améliorer le geste sur lequel on s'arrête, ce n'est pas parce qu'on lui dit de le questionner qu'il va s'y attarder. C'est un peu comme si ça n'a pas encore de signification pour lui. Ou encore c'est qu'il n'est pas rendu là; ses préoccupations du moment vont à tel autre aspect qu'il aimerait améliorer. Ce qu'il faut quand même retenir, c'est qu'il faut l'amener au doute, mais en restant attentif à ses préoccupations du moment et en respectant ce que sa personne d'enseignant apprenant peut prendre comme questionnement. On parlerait autrement de l'équilibre entre ce qui préoccupe l'enseignant associé et ce qui préoccupe le stagiaire.
LA PHASE RéFLEXIVE
reconstruire l'expérience
l'importance de faire décrire la situation
Vous vous rendrez vite compte, dans le processus de supervision, que la situation que le stagiaire souhaite analyser, elle n'est pas là, toute claire, dans son esprit. Il faut l'aider à la reconstruire. Il peut simplement dire: <<aujourd'hui, tout a bien été>>; ou <<aujourd'hui tout a mal été>>. Il importe de faire décrire la situation pour en voir toutes les composantes, et cela, même si c'est un vidéo du cours qu'on regarde; un vidéo ne veut rien dire en soi; il veut dire quelque chose dans la mesure où le stagiaire peut décrire ce qu'il était en train d'essayer de faire dans la classe, pourquoi il a réagi comme il a réagi, etc. Et c'est en lui faisant décrire, élément après élément, si l'on peut dire, que des idées vont vous venir pour l'aider à analyser. Et c'est peut-être votre idée sur la situation qui va l'aider à se rappeler d'un autre élément de la situation: <<il faut dire que j'étais très nerveux ce jour-là, pourra-t-il tout à coup ajouter, parce que tel élève m'avait dit telle chose dans le corridor; j'en ai oublié de présenter le travail aux élèves>>.
LA PHASE POST-RéFLEXIVE
donner un sens à l'expérience
L'importance de l'analyse des conséquences
L'analyse d'une situation de classe n'a de sens que dans la mesure où elle conduit à mieux identifier ce qui n'était pas clair, ce qui n'a pas fonctionné ou ce qui a bien fonctionné, et qui permet maintenant de retourner dans l'action en étant plus éclairé pour la suite. Et on a dit que l'éclairage pouvait être plus technique (des habiletés acquises: des consignes claires en situation), plus personnel (des convictions derrière les gestes, une personnalité derrière les habiletés), autant que critique (une conscience du modèle éducatif mis de l'avant par le stagiaire: le régime policier dans la classe). Autrement dit, la réflexion doit s'orienter sur l'action à venir et aller dans le sens d'un élargissement du répertoire d'action du stagiaire. S'orienter sur l'action à venir suppose que l'exploration des suites à donner sera importante; une exploration qui suppose qu'un éventail de possibilités conduise par la suite à un choix à poser pour le stagiaire.
DES QUESTIONS SUR...
les occasions de réflexion-sur-l'action
Avez-vous l'occasion de vous rencontrer, stagiaire et enseignant associé, pour effectuer un retour sur l'action?
Privilégiez-vous des rencontres informelles (selon le besoin exprimé par le stagiaire, ou encore entre les deux cours, ou au détour d'un corridor, lors d'une rencontre de planification, etc.)?
Privilégiez-vous des rencontres formelles (se donner un temps de rencontre formelle portant sur l'analyse de ce qui s'est passé en classe)?
l'interaction dans la rencontre de supervision
Est-ce que c'est vous, comme enseignant associé, qui démarrez la discussion, partant de ce que vous avez observé du stagiaire, en classe, ou de ce que vous avez lu de ses travaux de réflexion?
Ou bien laissez-vous le stagiaire démarrer la rencontre en lui proposant d'exposer ses difficultés, en classe, ou ses questionnements sur la profession enseignante, en général?
Comment équilibrez-vous les moments de directivité (décider de ce dont on va parler lors de la rencontre, lui proposer des solutions aux problèmes qu'il soumet, lui raconter comment vous agiriez dans telle situation, lui indiquer les consignes essentielles à donner aux élèves pour telle activité d'apprentissage, lui dire ce que vous attendez de lui, etc.)...
et les moments de non-directivité (le laisser choisir la situation à raconter lors de la rencontre de retour sur l'action, le suivre dans sa compréhension du problème qui s'est présenté en classe, lui laisser le choix des solutions, etc.)?
les outils de supervision pour soutenir la réflexion
Qu'utilisez-vous comme outil de retour sur l'action, selon le stage que vous supervisez?
Son cahier de planification de contenu d'enseignement?
La narration de ce qui s'est passé en classe?
Le journal professionnel que vous avez eu l'occasion de lire?
La vidéoscopie?
Un bilan évaluatif (une grille d'évaluation) de sa performance en stage?
Autres...
les contenus des rencontres de réflexion
Approche plus globale: vous vous centrez sur sa personne et sur son développement de futur enseignant: ce qu'il vit comme stagiaire, ce qui l'attend comme enseignant, les bons et moins bons côtés de la carrière, sa progression de stagiaire en général, etc.
Approche plus spécifique: vous vous centrez sur l'acquisition de certaines habiletés ou compétences particulières (liées, par exemple, à la préparation d'une activité d'apprentissage ou à la façon de donner des consignes de gestion de classe, à sa capacité de regarder les élèves, de poser des questions, etc.)
EN GUISE DE SYNTHÈSE...
QUELQUES PROBLÈMES DE SUPERVISION LIÉS À L'APPROCHE RÉFLEXIVE
Le stagiaire ne se responsabilise pas; il ne doute pas de lui; tout semble bien aller, tout le temps; ou si ça va mal, il renvoie la responsabilité à des facteurs externes: c'est la faute de quelques élèves, c'est vendredi, etc. Se responsabiliser suppose qu'on est capable de d'affronter ses erreurs, de reconnaître son pouvoir d'agir sur les situations, de transformer ce qui ne va pas; et il est probable que certains stagiaires se sentent trop menacés pour cela. Comment les aider à s'ouvrir, à se responsabiliser?
Le stagiaire se responsabilise trop; même quand ça va bien, il trouve le moyen de dire qu'il aurait pu faire beaucoup mieux; il n'est pas patient sur son développement de praticien; il voudrait être parfait tout de suite. À l'extrême, ce n'est plus de la responsabilisation, c'est de la culpabilisation. Et ça peut l'empêcher d'être actif et enthousiaste dans son stage; ça peut l'empêcher de progresser. Comment donner la juste mesure de responsabilisation au stagiaire?
Le stagiaire a de la difficulté à expliciter ce qui va ou ce qui ne va pas; il ne parle pas; il est difficile de lui faire raconter ce qui s'est passé ou ce qu'il pense. Il faut faire tous les efforts du monde pour lui faire décrire les situations de pratique vécues. Moins il parle de ce qu'il vit dans son stage, moins l'enseignant associé arrive à se sentir utile, moins il a de choses à lui dire. Comment arriver à lui faire développer cette capacité de décrire pour mieux analyser les situations?
Le stagiaire ne voit pas assez l'importance d'analyser ce qui se passe dans son stage pratique. Il veut surtout <<agir>> et pas nécessairement <<réfléchir>>. Il veut vivre des expériences dans la classe et dans l'école, il veut le plus vite et le plus longtemps possible prendre en charge des activités d'enseignement et ne voit pas beaucoup l'importance de revenir sur ce qui s'est passé dans une activité, pour mieux progresser. Comment équilibrer le besoin immédiat d'<<agir>> et l'importance d'éclairer cette action par la réflexion?
QUELQUES SOLUTIONS AUX PROBLèMES DE SUPERVISION LIÉS à L'APPROCHE RÉFLEXIVE
Équilibrer <<action>> et <<réflexion>>
Avant tout, faire en sorte que le stagiaire puisse profiter des temps d'action (son engagement à la tâche auprès de l'enseignant associé) et aussi des temps de réflexion (son engagement à analyser l'action pour mieux éclairer et orienter son apprentissage professionnel). L'action n'est pas nécessairement source d'apprentissage: elle peut être une fuite en avant pour le stagiaire qui ne chercherait qu'à <<survivre>>, le temps du stage, au lieu d'<<explorer>> les différentes facettes de la profession à laquelle il se destine.
Équilibrer <<action de routine>> et <<action réfléchie>>
L'action de routine, c'est lorsqu'on met l'accent sur ce qui va bien, sur ce qu'on a acquis dans notre exercice de pratique et qui nous permet d'exercer avec aisance notre tâche d'enseignant. L'action réfléchie, c'est lorsqu'on met l'accent sur ce qui ne va pas, ce qu'on souhaite faire progresser dans notre pratique. Le stagiaire a besoin qu'on lui manifeste ce qui est acquis et aussi ce qu'il a à faire progresser.
Équilibrer <<soutien>> et <<confrontation>> dans la réflexion
Soutenir le stagiaire, au sens où on l'entendra ici, dans le cadre de l'approche réflexive, c'est faire en sorte que le stagiaire se responsabilise assez, mais pas trop. Lui donner espoir de progresser quand tout semble aller mal; recadrer la situation et lui faire prendre du recul quand le stagiaire semble se culpabiliser et dramatiser ce qui arrive. Confronter, c'est tenter de le ramener à lui-même et à sa responsabilité de praticien, quand il a tendance à s'en dégager.
Équilibrer directivité et non-directivité
Le principe de non-directivité, c'est de permettre au stagiaire de construire son savoir par lui-même, c'est lui faire la place nécessaire pour qu'il s'exprime dans ses doutes et ses certitudes, ses explorations et ses découvertes, liées à la tâche à laquelle il s'initie. Le principe de directivité, c'est d'orienter le stagiaire dans son cheminement d'apprenant; c'est ne pas avoir peur de le guider dans les expériences qui lui conviennent, de lui éviter les écueils, de lui faire part de ce que l'on sait, par expérience.
Productions Tact
4 novembre 1996