Texte sur les fondements et les pistes de réponses se rattachant au cas de
l'élève-expert et l'enseignant au sentiment d'insécurité

 

" Chacun a une responsabilité dans la classe, chacun a un rôle à jouer dans son équipe de travail et chacun a des habiletés qu'il met à profit et partage avec ses collègues. Tous sont en projet. Qui donc est l'enseignant ou l'enseignante ? "

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* Insécurité face aux aspects techniques

Au départ, il est normal que l'enseignant ressente une certaine insécurité vis-à-vis l'environnement technologique. Cela est d'autant plus vrai si celui-ci est peu initié à l'utilisation d'outils informatiques en classe. Cependant, il devient rapidement facile de trouver dans le groupe des élèves qui sauront être utiles dans ce domaine. En délégant ainsi certaines tâches plus techniques l'enseignant n'a pas besoin de tout connaître et peut alors se consacrer aux tâches portant plus directement sur la pédagogie.

* Insécurité face à la répartition différente des rôles

Fonctionner en projet implique un important changement des rôles. Les élèves ont davantage de latitude alors que le rôle de l'enseignant semble être amoindri. C'est loin d'être le cas. Effet, si le rôle de celui-ci semble être plus discret, l'enseignant demeure le seul spécialiste de la pédagogie dans sa classe. C'est lui qui connaît le mieux les objectifs à atteindre et qui, sans nécessairement tout imposer aux élèves, les guide constamment vers l'atteinte des objectifs pédagogiques. Ce changement de rôle est aussi une source d'insécurité notable. Il est effectivement difficile de concevoir que bien qu'ils exécutent tous des tâches différentes, les élèves devront tous atteindre des mêmes objectifs. Il ne faut surtout pas oublier qu'en tout temps les élèves ont besoin de quelqu'un prêt à les rassurer, à les conduire dans la bonne direction où à leur confirmer qu'ils le sont déjà.
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Lieux d'exercice et de développement de son expertise

Le travail coopératif en projet

Annick, leader de son équipe, prend en main l'organisation de leur travail d'équipe en écologie et en français. Ils ont une recherche à faire sur le non vivant et les vivants que l'on retrouve dans le boisé des Compagnons-de-Cartier. Elle demande à Charles d'écrire à l'aide de son portable les étapes à suivre dans la planification du projet. On s'attribue les rôles : Charles est l'archiviste, il conserve les notes dans un fichier sur son portable, la partie sur le non vivant lui est réservée, Annick s'occupe de la partie sur les végétaux, Caroline est la spécialiste des traces laissées par les animaux et Bruno étudie celles des humains. On part pour le boisé. Charles, son portable en mains pour prendre les observations en note, son équipe et les autres équipes du groupe sont accompagnés d'un parent biologiste qui s'est offert pour la période afin d'aider les élèves à identifier les spécimens qu'ils récolteraient comme échantillons. On se croirait dans une classe-promenade de Freinet en interaction avec le milieu aux murs élargis et avec des gens extérieurs à l'école.

 

Les notions au programme

Dans le projet, chaque équipe a à traiter de l'humain et d'un des cinq sens. Elle a à faire une présentation Powerpoint avec le canon électronique pour expliquer soit la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher ou le goût. Avec les technologies de l'information telles Internet, les élèves ont un accès plus grand au savoir. Les possibilités de l'informatique ouvrent le monde des connaissances aux élèves et leur permettent ainsi de devenir expert d'un sujet de façon autonome. Les élèves consultent aussi les livres de la bibliothèque commune de la classe et de la bibliothèque de l'école. La matière est présentée par les élèves.

Dans l'univers technologique des communications et de l'information

La manière de présenter un exposé "plein de vie" peut aussi être enseignée par les élèves. Annick qui maîtrise aisément et de façon très créative le logiciel Powerpoint donne un cours à tout le groupe sur son utilisation, comment bien présenter clairement les informations, comment créer des animations, des effets sonores et ajouter des images. Ses connaissances technologiques surpassent de loin celles de l'enseignante.

Venu le temps de confectionner l'herbier virtuel à l'aide des échantillons ramassés dans le boisé, pourquoi ne pas laisser les élèves s'enseigner et interagir entre eux ? Didier, penché par dessus l'épaule de Caroline, assise à l'ordinateur central de la classe, lui explique comment numériser ses spécimens végétaux tels que champignons, mousse, feuilles et épines et comment retirer de la caméra numérique les photos prises dans le boisé pour son équipe. Cet apprentissage est d'autant plus signifiant parce qu'il est intégré à " un apprentissage sur le champ " nécessaire à la poursuite du projet que parce qu'il est enseigné par un pair du même âge, capable de réaliser ce même apprentissage.

 

Le conseil de classe

Pourquoi serait-il important d'accorder tant de temps à ce qui ne concerne pas proprement dit le programme disciplinaire du ministère ? Tout comme au Parlement d'enfants de Freinet, le conseil de classe permet aux élèves d'apprendre ensemble à travers un modèle social de travail et d'apprentissage. Ils travaillent et apprennent ensemble, ils doivent donc apprendre à vivre ensemble. Le travail coopératif en projet exige l'apprentissage de savoir-vivre ensemble. Le conseil de classe s'avère un lieu démocratique où les élèves prennent en charge l'animation et discutent des questions relationnelles et fonctionnelles de leur vie en classe. Les experts animateurs sont des élèves. L'enseignante agit au même titre que les élèves : l'animateur lui accorde le droit de parole. Après avoir été éclairé par les commentaires et les opinions partagés par l'enseignante et les autres élèves, la classe passe au vote pour décider de la question. Savoir communiquer est une expertise précieuse dans une société de services et de télécommunications.

 

Les rôles changent

À quoi sert l'enseignant dans toutes ces activités ? Que devient son travail si il n'est pas le principal ou l'unique à dispenser des savoirs ? Un coordonnateur de l'école des classes ACOT exprimait que l'enseignement par les pairs allège vraiment le fardeau des profs, qu'ils ne sont plus obligés de voir à tout dans la classe. Il reste toujours toutefois beaucoup à faire : planifier chacune des étapes de la démarche par projet (planification, réalisation et objectivation) pour assurer le transfert d'apprentissages signifiants et durables, bien se préparer pour savoir improviser et s'adapter aux orientations que prendra le projet suite aux décisions et aux suggestions des élèves, expliquer l'activité, savoir questionner, amener l'élève à découvrir sa propre réponse ou solution.

 

Les rôles se précisent... la communauté d'apprentissage prend vie

" Les interactions qui se produisent au sein de la situation éducative permettent aux élèves d'être au centre de l'activité d'apprentissage en cours de réalisation et, entre autres, de communiquer et de clore des " conversations " en rapport avec des objectifs d'apprentissages connus à l'avance. "(1) Plaçant l'élève à sa juste place, il est essentiel de mettre en lumière ses compétences et habiletés personnelles pour faire valoir son expertise dans un domaine quelconque. Le rôle de l'enseignant, par une réflexion médiative sur la métacognition, est d'amener l'élève à prendre conscience de ses habiletés et à développer d'autres compétences qui lui seront utiles pour prendre en charge progressivement et de façon responsable son apprentissage (planification, orientation, réalisation autonome, régulation, vérification, correction, évaluation) (2).

Tel qu'à Protic, les élèves des classes ACOT développent aussi très rapidement une maîtrise des applications, des logiciels et du matériel informatique. Ces élèves experts techniciens en informatique prêtent assistance et conseils et enseignent quelques trucs et méthodes utiles aux élèves et à l'enseignant. " Au début, leurs interventions furent sporadiques , spontanées et improvisées. Plutôt que d'attendre passivement que l'enseignant vienne à leur secours, les élèves prirent l'initiative de demander ou d'offrir de l'aide à leurs camarades. " (3) En laissant plus d'aire d'action aux élèves, ils peuvent davantage développer les compétences transversales, telles l'initiative et des habiletés de communication, comme le suggère L'école tout un programme du Ministère de l'éducation.

Par tous ces liens tissés, une réelle communauté d'apprentissage prend vie : tous s'enseignent et apprennent, enseignants compris. Cette multiplication des interactions fait évoluer la communauté en apprentissage en encourageant le partage et l'apprentissage de savoirs, savoir-faire et savoir-être. Piaget et Vygotsky reconnaissent l'importance des interactions entre pairs. Ces interactions accroissent le développement cognitif puisqu'elles créent des conflits cognitifs et stimulent des processus de pensée de niveau supérieur (engager des discussions, restructurer ses pensées pour les discuter et assurer une cohésion, écoute, aide, partage, travaux interdépendants, etc.) (4) . L'enseignant n'est plus l'expert incontesté, il est spécialiste en pédagogie (la didactique, la métacognition, la socialisation et la psychologie sont entre autres des domaines de son expertise). Mais un élève passionné de géographie, excellent en rédaction et grammaire ou un autre habile en informatique sont précieux pour leurs pairs. L'enseignant peut attribuer à ces élèves le rôle d'aide-expert et se préoccuper alors d'autres tâches éducatives. En apprentissage coopératif, il peut davantage se concentrer sur ses rôles de facilitateur, d'observateur et de participant et passer moins de temps à partager de l'information et à surveiller le comportement disciplinaire des élèves (5).

 

Les élèves éprouvant des difficultés d'apprentissage dans certains domaines de savoirs

" La plupart des enseignants se rendirent compte que même les élèves moins avancés avaient beaucoup à offrir à leurs camarades [...] C'est fascinant de voir à quel point des enfants pourtant en difficulté peuvent collaborer avec les autres " (6). Une élève de Protic prenait des cours de récupération le midi pour améliorer son français écrit. Elle a si bien compris comment l'analyse grammaticale générale permettait de corriger ses erreurs d'accord qu'elle a animé l'atelier d'amélioration du français au cours suivant devant tout le groupe. Aider ses collègues qu'elle percevait comme " bols en français " a contribué à augmenter sa confiance en elle, sa fierté et sa motivation à être une personne-ressource et à réaliser des apprentissages pour elle et la classe toute entière .

Comment apprend-on ?

Lier expérience et apprentissage, accorder aux apprenants un rôle actif et créatif en classe, proposer des situations éducatives qui exigent un engagement cognitif et métacognitif au sein d'une équipe coopérative de travail donnent aux élèves des environnements qui favorisent leur façon d'apprendre (7). Comment apprend-on ? De mille et une façons. Et lesquelles conviennent à chacun ? C'est en fournissant des situations d'apprentissage variées à l'élève, en le faisant découvrir et explorer des connaissances et des façons de faire qu'il pourra être mieux éclairé et choisir une façon d'apprendre qui lui convient. Les commentaires des élèves des classes ACOT sur les présentations de leurs camarades montrent qu'ils préféraient les formes interactives aux formes passives comme l'exposé traditionnel. Apprendre en action et en interaction avec l'objet d'apprentissage et ses pairs révèle une clé indispensable pour l'apprentissage : la motivation.

 

Il est motivant d'apprendre quand on est aidé de façon coopérative, quand on se sent progresser, quand on devient soi-même une personne-ressource pour d'autres de ses collègues. C'est l'élève qui compte ainsi que son développement personnel, notre mission : l'éducation. Le sentiment d'insécurité ou le doute sur ses compétences et sa culture générale ne survivent pas très longtemps. Après un certain temps, la motivation se développe de plus en plus à voir que tous travaillent dans le même sens pour apprendre, se développer et partager leurs apprentissages puisque le savoir appartient à la collectivité et à chacun. C'est même extraordinaire de joindre sa contribution à celle de l'élève afin de bien construire sa tête d'expert, expert en lui-même. Qui donc le connaît mieux que lui !


Bibliographie

ABRAMI, Philip C., CHAMBERS, Bette, POULSEN, Catherine, HOWDEN, James, d'APOLLONIA, Sylvia, DE SIMONE Christina, KASTELORIZIOS, Kiki, WAGNER, Diane et GLASHAN, Alexandra, Using Cooperative Learning, Montréal, Centre for the Study of Classroom Processes Education Departement, 1993, 294 pages.

BOUMARD, Patrick, Célestin Freinet, Paris, Puf, (Pédagogues et pédagogies), 1996, 126 pages.

CLARKE, Judy, WIDEMAN Ron, EADIE, Susan, Apprendre ensemble : l'apprentissage coopératif en groupes restreints, Montréal, Les Éditions de la Chenelière inc., 1992, 214 pages.

DELEDALLE, Gérard, John Dewey, Paris, Puf, (Pédagogues et pédagogies), 1995, 128 pages.

GRÉGOIRE inc., Réginald, LAFERRIÈRE, Thérèse, Apprendre ensemble par projet avec l'ordinateur en réseau, Réseau scolaire canadien, 1998.
Adresse internet : http://www.tact.fse.ulaval.ca/fr/html/sites/guidep.html

HAYMORE SANDHOLTZ, Judith, RINGSTAFF, Cathy et DWYER, David C., La classe branchée. Enseigner à l'ère des technologies, Montréal, Chenelière/McGraw-Hill, chapitres 5 et 6 : " Une nouvelle définition des rôles " et " Le maintien de l'intérêt des élèves ", 1997, p.78-106.

MEIRIEU, Philippe, Outils pour apprendre en groupes. Apprendre en groupes - 2. 6e édition, Lyon, Chronique Sociale, (Pédagogie Formation), 1996, 201 pages.

Pour une bonne gestion de classe et une utilisation rationnelle u portable en classe et à la maison, par Gilles Grégoire, directeur adjoint à Protic, école Les Compagnons-de-Cartier, Sainte-Foy, dans la section Description du site www.protic.net/ aux pages 2,3 et 7.

THOUSAND, Jacqueline S., VILLA, Richard A., NEVIN, Ann I., Creativity and Collaborative Learning. A practical guide to Empowering Students and Teachers, Baltimore, Paul H Brookes Publishing Co., 1994, 420 pages.

VAYER, Pierre, colligé par Marthe Roy-Beaudin, La pratique du travail en groupes, Paris, Éditions Buchet/Chastel, (Pratiques nouvelles en éducation, collection dirigée par Pierre Vayer et le GIEIDE Québec), 1997, 135 pages.