VI - Les lieux : aménagements et gestion
 

L'aménagement de la classe en contexte d'apprentissage par projet est déterminé par l'approche pédagogique privilégiée. Celle-ci a pour postulat de base la construction des connaissances dans un contexte de collaboration au sens le plus plein de ce terme. C'est dire que l'aménagement physique des lieux a pour but de favoriser l'établissement d'un tel contexte d'apprentissage. 

Les bureaux des élèves sont regroupés par quatre. Les prises électriques et le réseau se situent au centre de chaque ilôt. On retrouve à l'avant de la classe le tableau, l'imprimante, les armoires de rangement de volumes, les documents et autres papiers. Le bureau de l'enseignant peut occuper différentes places dans la classe.

Les classes sont placées à proximité les unes des autres, mais aussi à proximité d'autres classes de l'école.

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Chaque élève possède son propre ordinateur portable. Cette situation particulière fait en sorte que l'enseignant-e ou le stagiaire doit fréquemment demander à l'élève de fermer son ordinateur. La consigne "Baissez l'écran de votre ordinateur" devient, par conséquent, chose courante dans la classe branchée.

Si l'accès au réseau, par l'intermédiaire du portable, est généralement disponible, il arrive, en revanche, que le réseau soit non fonctionnel. De même, il peut arriver que l'élève ne puisse disposer de son ordinateur lorsque celui-ci est en réparation. Dans ce cas, l'organisation de la classe demeurera inchangée, car la classe est répartie en équipes sur une base permanente. 

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Échanger, partager, discuter, évaluer sont des attitudes courantes en contexte de pédagogie de projet, de sorte que l'aménagement des lieux va bien au-delà d'une simple redisposition des éléments physiques de la classe et se traduit par de fréquents déplacements liés aux nécessaires échanges entre les membres des équipes, de même qu'entre les équipes elles-mêmes. Ces déplacements ont des conséquences directes sur le  bruit dont le niveau devient plus élevé. Si la gestion du bruit n'a cessé d'être au coeur des préoccupations des enseignants soucieux de mettre en place les conditions les plus susceptibles de favoriser l'apprentissage des élèves dont ils ont la charge, elle constitue  une préoccupation cruciale en contexte d'apprentissage par projet. En effet, ce dernier repose sur une nécessaire interaction entre les membres de ce qu'il est désormais convenu d'appeler une communauté d'apprentissage. La classe, véritable communauté d'apprentissage, fonde en effet son organisation sur une conception sociale du savoir, lequel, quoique s'édifiant selon les individus à des rythmes différents, ne peut être que le résultat, toujours provisoire, destiné donc à être prolongé, d'un consensus. La notion de consensus présuppose un partage de l'information et, par le fait même, une collaboration dans l'édification du savoir, une co-élaboration, pourrait-on dire, qui, replacée dans le cadre spécifique de la classe, crée au sein de celle-ci une dynamique particulière qui remet forcément en question son mode de fonctionnement. 

Des multiples changements résultant de ce nouveau contexte pédagogique, le bruit est certainement l'un des plus perceptibles et, dans le meilleur des cas, l'un des plus représentatifs, car il est, en quelque sorte, le signe de l'activité des "chercheurs" de la classe. Cependant, considéré d'un point de vue traditionnel qui veut que le silence soit le signe représentatif d'une classe au travail, le bruit qui règne dans les lieux où l'on privilégie l'approche par projet ou l'apprentissage coopératif risque d'apparaître aux yeux du néophyte comme un signe d'indiscipline ou d'anarchie. C'est, du moins, la perception que risquent d'avoir les enseignants qui privilégient l'enseignement magistral et pour lesquels le silence constitue la règle d'or de l'assimilation du savoir. Pour d'autres, au contraire, tels les enseignants en sciences pour qui l'apprentissage de la matière nécessite chez leurs élèves de fréquentes interactions, la surprise sera peut-être moins grande. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre, le bruit marque en quelque sorte une rupture avec la conception traditionnelle de l'enseignement.

C'est donc dire que l'adaptation au bruit, qui ne peut être que progressive, ne se fera qu'à partir du moment où l'enseignant, le stagiaire, l'élève et les autres intervenants comprendront que ce "bruit" engendré par la dynamique de l'approche par projet n'est pas le signe d'une classe mal gérée, mais bien plutôt une composante essentielle de l'apprentissage par projet.

Ce postulat étant posé, il convient maintenant de définir ce qu'il faut entendre par "bruit". Il importe également de se demander à l'intérieur de quelles limites le bruit peut être toléré et selon quels paramètres il peut mener à une écoute active et, par le fait même, conduire à un échange enrichissant entre les membres de la classe communauté d'apprentissage. Il s'agit donc, on le voit bien, de faire le passage menant du silence passif à la parole active et à l'écoute, ces deux dernières étant intimement liées. C'est donc dire que le bruit ou, dirons-nous désormais, la prise de parole doit être dirigée, c'est-à-dire administrée de telle manière qu'elle serve les intérêts de tous les membres de la classe. La classe communauté d'apprentissage est donc, tout comme la classe traditionnelle, soumise à la nécessité de sa cohérence, laquelle se traduira par l'établissement consensuel de certaines règles. Le degré de cohésion de la communauté d'apprentissage sera d'autant plus élevé et le dynamisme de cette dernière d'autant plus grand que la mise en place des règles devant permettre une gestion efficace du bruit résulteront d'un commun accord, chacun des membres de la communauté les faisant siennes, car l'apprentissage n'est rien d'autre que le développement de l'autonomie, autonomie que nous reconnaissons non seulement dans la capacité de l'élève à se donner des buts, mais plus fondamentalement encore dans celle qui consiste à développer les attitudes appropriées à la réalisation de tels buts. 

À cet égard, la gestion de la parole ne peut plus être du seul ressort de l'enseignant. Si l'apprentissage par projet fait appel à un mode de fonctionnement différent, au sein duquel on sollicite la participation active et effective de l'élève, alors il va de soi que les règles de fonctionnement quant aux modalités d'exercice de la parole doivent être établies de concert avec l'élève. Cependant, l'exercice de la parole dans le cadre spécifique de l'approche par projet peut représenter une difficulté pour l'élève à qui l'on a, jusqu'ici, généralement demandé d'écouter et à qui l'on demande dorénavant d'être partie prenante du processus d'apprentissage. L'exercice de la parole dans le cadre d'un échange constructif constitue une exigence nouvelle requérant un effort réel de la part de l'élève appelé à définir les modalités de ses apprentissages et à les mettre en uvre. Les exigences ne sont pas moindres pour l'enseignant dont l'énergie se trouve sollicitée de toutes parts par une activité pédagogique qu'il doit désormais partager avec les membres de la classe devenue communauté d'apprentissage.

La parole a donc un impact social qu'il importe de ne pas négliger en cherchant à se persuader qu'avec le temps les choses se placeront. L'enseignant aura, au contraire, tout intérêt à parler des effets qu'est susceptible de produire, tant sur lui que sur chacun des membres de la classe de même que sur la classe tout entière, le bruit découlant d'une prise de parole collective, et à ainsi faire prendre conscience aux élèves de la place et du rôle devant être dévolus à la parole pour que celle-ci serve les intérêts de tous. Cette prise de conscience devrait idéalement conduire à l'élaboration de règles et de comportements qui tiennent compte de la composition de la classe - présence plus ou moins grande de leaders, élèves en difficulté d'apprentissage, élèves passifs ou turbulents -, de la maturité de la classe, de même que des particularités physiques du local d'enseignement. 

La composition de la classe joue en effet un rôle important dans l'établissement de la dynamique de celle-ci. Certaines classes comportent un nombre important de leaders qui tiennent naturellement à imposer leur point de vue. D'autres classes regroupent des élèves plus passifs chez lesquels la prise de parole, toujours dans le cadre spécifique d'une conception constructiviste de la connaissance, constitue une exigence à laquelle ils seront peut-être tentés de substituer le bavardage oiseux. Dans un cas comme dans l'autre, et dans tous les cas, devrions-nous préciser, il importe de définir les rôles devant être tenus par chacun des membres à l'intérieur de l'équipe pour que celle-ci assume pleinement sa fonction de communauté d'apprentissage : en tant que modérateur, animateur, évaluateur, pour n'en  nommer que quelques-uns, chacun des membres de l'équipe doit non seulement veiller, selon le rôle qui lui est assigné, à la bonne marche de l'équipe, mais encore devra-t-il ultimement évaluer l'impact de son rôle sur le fonctionnement de l'équipe et de la classe. Cette évaluation pourrait d'ailleurs constituer un critère d'évaluation dans le cadre de l'auto-évaluation de chaque élève. 

La définition des paramètres de l'exercice de la parole a, on le voit, une incidence directe sur la qualité des échanges qui s'effectuent à l'intérieur du groupe mais également à l'intérieur de la classe. L'attribution de rôles, si elle rend possible une distribution et une circulation démocratique de l'information à l'intérieur de chacune des équipes, ne met cependant pas ces dernières à l'abri du bruit. La fréquence des échanges à l'intérieur de chacune des équipes produit nécessairement une élévation importante du niveau du bruit au sein de la classe. Ce niveau peut cependant être abaissé : une fois les projets mis en place, l'enseignant, après avoir souligné la promiscuité des membres à l'intérieur de chacune des équipes, rappelera à l'ensemble de la classe qu'il est non seulement possible mais également souhaitable pour le bénéfice de tous d'adopter un ton de voix suffisamment bas de manière à ce qu'une équipe en phase de lecture ou d'écriture, par exemple, ne se trouve pas dérangée par une équipe en phase de discussion. L'élève se rend compte alors que l'accomplissement du travail de la classe communauté d'apprentissage repose sur un respect mutuel tant entre les membres de l'équipe qu'entre les équipes elles-mêmes. Dans le mesure ou le savoir est une co-élaboration, il appert en effet que sa réalisation passe par l'établissement d'une discipline commune parce que mise au service d'une finalité commune aux membres de la classe.

L'élaboration des règles de conduite quant à la prise de parole doit également tenir compte de la maturité du groupe. Si la gestion de la parole au sein d'une classe de 1ère secondaire suppose la prise en compte de paramètres différents de ceux qui conduiront à l'établissement du protocole des échanges et des déplacements dans une classe de 5e secondaire, cette différence demeure toute relative: la maturité affective d'un groupe de 1ère secondaire peut être plus grande que celle d'une classe de 5e secondaire, et, comme le degré de maturité intellectuelle est subordonné à celui de la maturité affective, la gestion du bruit pourra demander plus de temps dans le second cas. Dans tous les cas, cependant, la participation active et responsable de l'élève à la mise en place des modalités présidant aux échanges et aux déplacements physiques tant au sein de l'équipe qu'entre les équipes elles-mêmes constitue une garantie de réussite, l'élève apprenant à définir et définissant les conditions devant mener à la réussite de ses apprentissages. 

Enfin, la gestion du bruit doit tenir compte des particularités du local d'enseignement. L'enseignant qui ne dispose que d'une seul local doit faire preuve de plus d'imagination et de souplesse que celui qui peut répartir les équipes de sa classe en deux ou plusieurs locaux selon les besoins de chacune. En outre, un local aux dimensions restreintes constitue un stress supplémentaire tant pour l'enseignant que pour les élèves qui doivent composer avec un niveau de bruit élevé. Même dans les cas où la classe connaît un bon fonctionnement, il n'en demeure pas moins que bien des élèves éprouvent de réelles difficultés à travailler dans le bruit. Encore là, l'enseignant devra innover : il pourra envoyer une équipe discuter dans le corridor, par exemple, afin d'assurer un calme relatif aux  équipes en période de lecture et d'écriture. 

Enfin, quelle que soit sa capacité à trouver des solutions, l'enseignant qui adopte l'approche par projet se trouve tôt ou tard dans la nécessité d'établir certains compromis avec ses collègues dont les croyances seront parfois heurtées par l'activité des élèves-chercheurs et par le bruit que cette activité génère. L'approche par projet suppose en effet une complète redéfinition des lieux et du temps d'apprentissage. La classe n'est plus ce lieu fermé, indépendant au sein duquel l'enseignant officie devant un groupe silencieux et docile, mais un espace, lui-même constitué de micro-espaces, ouvert à d'autres espaces. Cette décentralisation extrême requiert une gestion non seulement commune aux membres de la classe communauté d'apprentissage, mais aux membres de l'école où siège cette classe communauté d'apprentissage.