Vers une utilisation équilibrée des TIC
au sein des environnements d'apprentissage.
Préparer les futurs choix.
Thérèse Laferrière, Faculté des sciences de l'éducation, Université Laval,
et
Réseau des centres d'excellence en télé-apprentissage (RCE-TA)
La version html de ce document (avec hyperliens) est à l'adresse suivante: http://www.tact.fse.ulaval.ca/fr/html/sites/cmecfr.html
Introduction
Le Secrétariat du CMEC a jugé qu'il serait utile d'avoir un document de travail pour aider les sous-ministres dans leur discussion de ce dossier à la prochaine réunion du CCSME à Saskatoon. J'ai été chargée de préparer ce document. Les sous-ministres sont déjà très conscients de l'impact considérable que les technologies de l'information et des communications (TIC) ont aujourd'hui et vont continuer d'avoir dans le secteur de l'éducation.
Soulignons d'abord que les TIC sont avant tout considérées comme un moyen d'améliorer le processus d'apprentissage, au niveau individuel, et de participer pleinement à la nouvelle ère de l'information, au niveau de l'ensemble de notre société. En deuxième lieu, est avancée la perspective que choisir de sauter de l'avant aveuglément pourrait avoir des conséquences aussi désastreuses pour l'éducation et la société que de choisir d'attendre des avantages plus tangibles. En troisième lieu, l'auteure soutient que la décision d'intégrer les TIC (connexion à l'Internet, formation des maîtres et développement des réseaux) est irréversible : c'est un point de non-retour à partir duquel, graduellement mais inexorablement, les collectivités sont amenées à transformer l'infrastructure sociotechnique de leurs systèmes éducatifs.
Le présent document a donc pour objectif de présenter un survol des possibilités et des besoins créés par les TIC; un aperçu des diverses visions en présence face aux changements qui se dessinent; certaines considérations relatives à la question de la rentabilité de l'éducation, vue comme un élément crucial résultant de l'évolution du rôle des acteurs et de l'utilisation des TIC et des suggestions quant à la stratégie que le CMEC pourrait adopter dans le domaine des technologies de l'information et des communications. Ainsi, plutôt que de présenter une analyse exhaustive des problèmes, des questions et des solutions, le présent document fait ressortir les éléments jugés importants pour le CMEC au moment où il doit décider de sa stratégie dans le domaine des technologies de l'information et des communications.
1. SURVOL DES POSSIBILITÉS ET DES BESOINS CRÉÉS PAR LES TIC
Nous présentons des faits, des tendances et divers énoncés pour suggérer des réponses, individuelles ou collectives, aux trois questions suivantes: Que se passe-t-il sur la scène internationale avec l'arrivée des TIC dans les systèmes d'éducation? Quels sont les éléments d'appui à l'utilisation des TIC pour favoriser le passage au nouveau paradigme de l'apprentissage? Quels sont, à long terme, les objectifs potentiels?
1.1 Que se passe-t-il sur la scène internationale?
a) Les technologies de l'information et des communications progressent à pas de géant.
Les ordinateurs individuels ont aujourd'hui la capacité de traiter des quantités gigantesques de texte, de sons, d'images et de vidéos. En plus, les apprenantes et apprenants peuvent avoir avec les ordinateurs individuels, ou PC, (et bientôt avec les "ordinateurs de réseau " [les NC ou Network Computers]) des interactions de plus en plus stimulantes. Reliés à d'autres ordinateurs (Internet ou Intranets), les ordinateurs sont déjà en train de changer notre façon de travailler, comme l'ont fait par le passé des technologies comme la photocopieuse ou le télécopieur. Communiquer par courrier électronique ou dans des forums de discussion comme First Class devient monnaie courante. Dans les trois dernières années, l'Internet a captivé l'imagination de plus de cinquante millions de personnes, qui sont en train de construire un cyberespace constitué d'éléments provenant d'un nombre exponentiel de sources. On met au point des méthodologies de recherche pour faciliter l'accès, par le biais de documents en ligne et de serveurs mandataires (proxies) qui contrôlent ce qui est placé dans un réseau local (LAN). Des services comme NetNanny aident à protéger les yeux et les esprits de nos jeunes enfants. Le rôle des bibliothécaires change lui aussi, car on leur demande, dans leur travail quotidien, d'intervenir à un niveau plus élevé. Et voici que les technologies du pousser (push technologies) arrivent sur la scène pour résoudre les problèmes de celles et ceux qui préfèrent qu'on leur livre l'information taillée sur mesure plutôt que d'avoir à traiter eux-mêmes avec le matériel brut qui se trouve sur le Web : il y a d'abord eu Pointcast.com, puis Pointcast.ca et, plus récemment, Educast.com. Le consensus, chez les spécialistes, n'est pas seulement un constat que la technologie est là, mais aussi, qu'il faut maintenant tourner notre attention et notre énergie vers la reconstruction de l'infrastructure sociotechnique que requiert la société de l'information. (Voir le Glossaire.)
b) La société du savoir est de plus en plus une réalité.
Face à la globalisation croissante du commerce mondial, les territoires, les provinces et les pays se rendent compte qu'ils ne peuvent plus simplement attendre que leurs ressources sociales et naturelles se développent. Ces entités doivent plus que jamais compter sur la force que leur donne une main-d'oeuvre mieux informée pour gérer leurs ressources naturelles et participer à une croissance économique équilibrée. Soutenue par les nouvelles technologies de l'information et des communications, l'éducation devient le moyen privilégié de composer avec les problèmes engendrés par l'expansion commerciale et les divers besoins humains des nations. Le Rapport Delors, publié par la Commission internationale sur l'éducation mise sur pied par l'UNESCO, souligne la nécessité d'avoir des étudiantes et étudiants possédant une forte capacité à apprendre, assistée par les nouvelles technologies de l'information et des communications. L'OCDE insiste dans une étude récente sur l'importance du large secteur de l'apprentissange non formel, où les individus se forment en cours d'emploi, et des réseaux de connaissance considérés comme éléments clés dans la distribution d'un savoir auprès des divers acteurs et établissements.
c) Les aspirations supérieures de l'individu et les impératifs du milieu de travail convergent.
Au fur et à mesure que la technologie (entendre les TIC) se développe et se répand dans le monde, la demande pour des personnes possédant des aptitudes intellectuelles et techniques d'ordre supérieur augmente. Mais gérer une entreprise ou une organisation est une tâche bien plus complexe aujourd'hui que par le passé. Il faut non seulement gérer la fabrication du produit, mais aussi le faire avec la pleine participation d'une équipe de personnes ayant des préoccupations familiales, sociales et culturelles dont on doit tenir compte. Parce qu'on a besoin de moins de personnes sur les chaînes de montage -- qui constituaient le modèle d'excellence de la société industrielle au XXe siècle -- on parle davantage, aujourd'hui, de promotion de l'autonomie, d'habiletés mentales supérieures et de résolution de problèmes, de créativité et de travail en équipe de l'individu. C'est ce genre de personnes que les industries nouvelles, par exemple, veulent engager pour les projets qu'elles entreprennent. La nature même du milieu de travail est donc en train de changer (CCAI, 1997) de façon spectaculaire et les nouveaux emplois feront appel à une grande diversité de disciplines. En conséquence, l'individu est mis au défi de donner plus, et de composer avec le côté négatif de ce développement sans précédent.
d) L'apprentissage est devenu une cible mouvante.
On exige de plus en plus des gens qu'ils perfectionnent leurs connaissances et leurs habiletés : les jeunes devraient apprendre à utiliser l'ordinateur; à trouver l'information et à la traiter; ils devraient aussi apprendre à collaborer et devenir des apprenantes et des apprenants la vie durant. Plusieurs initiatives pancanadiennes visent à accélérer notre transition vers la société de la connaissance : le Rescol et le PAC sont deux programmes d'Industrie Canada, le Bureau des technologies d'apprentissage et le Réseau des centres d'excellence en télé-apprentissage. L'idée de "travailler avec la connaissance", par exemple, est un concept central au sein de ce dernier réseau. Les frontières entre l'école, le travail et la famille s'estompent de plus en plus.
e) Les territoires, les provinces et les pays préparent des plans d'intégration des technologies de l'information et des communications à l'éducation.
La plupart des pays ont entamé ce processus -- même les provinces du nord de l'Afrique du Sud. La Communauté européenne envoie à ses enseignantes et enseignants le message que la collaboration est à l'ordre du jour, un message similaire à celui véhiculé dans le document récent du Secrétariat québécois de l'autoroute de l'information intitulé Pour une école branchée. Le Mexique a une équipe de 25 personnes qui recensent et apprécient les activités et les programmes de télé-apprentissage, et il envisage d'adopter certains programmes mis en oeuvre en Israël. La nouvelle Open School de Colombie-Britannique, qui est née de la fusion de l'Open Learning Agency et du Centre des technologies éducatives du ministère de l'Éducation de cette province, travaille en collaboration avec le Mexique. Le réseau Stem~Net de Terre-Neuve est un excellent exemple de l'utilisation que l'on peut faire des technologies de l'information et des communications pour donner aux services éducatifs la capacité de desservir une population très disséminée.
f) Les pays développés qui mettent en oeuvre des technologies de l'information et des communications pensent en termes d'activités d'apprentissage multimédias dites à valeur ajoutée.
De plus en plus d'écoles et d'organismes du secteur de l'éducation ont leur propre site Web ou leur propre serveur, et peuvent donc publier localement des informations, des créations d'élèves et des activités à vocation éducative. Des partenariats se forgent dans le but de produire pour le Web des activités éducatives robustes, cela autant à des fins de formation technique ou professionnelle que pour l'acquisition d'habiletés de base. On retrouve souvent dans ces partenariats des sociétés de télécommunications désireuses de voir circuler du contenu au sein de leurs nouveaux réseaux électroniques. À Vienne, on est en train de numériser les archives musicales. La France, un pays dont le Minitel est longtemps resté un service d'avant-garde et qui a une longue tradition de colonisation, a entrepris la planification d'activités pédagogiques multimédias, à valeur ajoutée, qu'elle compte ensuite vendre aux autres pays francophones. Aux États-Unis, on estime à quelque 250 milliards de dollars l'investissement des "sociétés de produits ludo-éducatifs" dans des activités de ce genre, soit cinq fois les dépenses annuelles combinées de toutes les provinces canadiennes et du gouvernement fédéral en éducation. Il est fort peu probable que les TIC remplacent le papier à l'école, du moins pas avant très longtemps, mais il faut reconnaître que le secteur de l'éducation est désormais un marché potentiel immense dans un monde "branché".
1.2 Quels sont les éléments d'appui à l'utilisation des TIC qui favorisent le passage au nouveau paradigme de l'apprentissage?
Les TIC ne permettent pas seulement d'enrichir les présentations données en classe et d'améliorer considérablement les communications à distance : ce qui est le plus important, c'est qu'elles facilitent l'apprentissage actif ou concret, la collaboration ainsi que l'accès à l'éducation.
a) L'appel à l'équité d'accès
Le principe de l'égalité des chances en éducation -- qui a été le levier de base concernant le statut de l'apprenant et l'élément moteur du processus de prise de décision des éducateurs pendant plus de trente ans -- revêt aujourd'hui une acception plus large aux yeux de celles et ceux qui se penchent sur la question de l'accès aux TIC pour toutes les personnes inscrites dans les systèmes d'éducation. Les TIC seront peut-être en fin de compte un moyen très efficace de composer avec les inégalités si elles peuvent éventuellement permettre la distribution de contenus de qualité pédagogique équivalente. Mais les TIC ont aujourd'hui plutôt tendance à exacerber les inégalités des milieux d'apprentissage formels. L'accès aux TIC hors du milieu scolaire creuse le fossé entre les nantis et les économiquement faibles, les familles pauvres se voyant confrontées à de réels problèmes, entre autres, lorsqu'on encourage les élèves à utiliser les TIC en dehors de la classe ou à s'équiper d'ordinateurs portatifs pour faire leurs études universitaires ou collégiales. Il importe de consacrer beaucoup d'attention à la mise en place des conditions de base au niveau de la connectivité, du contenu et, enfin et surtout, de la formation des maîtres.
b) Les différences entre les apprenants s'accentuent.
La diversité est devenue un problème clé pour les enseignantes et les enseignants. L'âge, l'origine ethnique, l'acquis scolaire et, aujourd'hui, la localisation de l'apprenant sont de plus en plus disparates. Il est vrai que les TIC aident énormément à individualiser l'enseignement et à organiser des activités d'apprentissage coopératif. Mais il y a lieu de croire que l'accent maintenant mis sur l'apprentissage tout au long de la vie pour tous et toutes va accentuer plus encore la différenciation des besoins d'apprentissage ainsi que la réponse à ces besoins. Celles et ceux qui savent comment trouver l'information et se "retrouver à travers cette information", comment collaborer pour résoudre des problèmes et comment s'appuyer sur des réseaux (le pouvoir des réseaux) ont plus de chance de faire de l'acte d'apprendre (connaissances tacites et codifiées) un élément de leur quotidien. Tous ceux et celles n'ayant qu'un accès très limité, ou aucun accès, risquent de s'écarter du peloton principal. À la demande du Conseil consultatif du Rescol, un groupe d'éducateurs s'est penché sur ces questions dans un document intitulé Les apprenantes et les apprenants du 21ème siècle : Énoncé de vision.
c) Le renforcement de l'autonomie des apprenantes et des apprenants par les ordinateurs connectés à d'autres ordinateurs
Les pédagogies centrées sur le maître sont hautement centralisées. Certains élèves les trouvent trop lentes et auront tendance à se révolter de plus en plus ouvertement contre l'obligation qui leur est faite de régler leur rythme d'apprentissage sur celui du reste de la classe quand ils savent qu'ils peuvent consulter des sources autorisées concernant la matière étudiée sur CD-ROM ou sur l'Internet. Les élèves veulent qu'il y ait davantage d'interaction entre eux et avec leurs enseignantes et enseignants (les rencontres personnelles et les interactions entre élèves et professeurs créent des situations d'apprentissage qui s'apparentent plus à du travail de séminaire ou de collaboration et moins à des cours de type magistral). De nos jours, les jeunes ont la tête pleine d'images et ils veulent avoir des connaissances théoriques assorties de connaissances pratiques (on trouve maintenant des simulations sur ordinateur de conflits moraux à côté des expériences de laboratoire virtuel, et la visualisation est possible). Les jeunes qui savent se promener sur l'Internet découvrent la liberté qu'accompagne la capacité de choisir ses sources d'information, de communiquer avec des gens qui ont les mêmes intérêts, ou les mêmes difficultés, que nous et de collaborer à des projets (voir le Réseau éducatif de l'Ontario, enoreo). Les promoteurs des TIC disent que "l'enseignement traditionnel" est coûteux en argent et en temps et qu'il n'est pas aussi efficace qu'il pourrait l'être et suggèrent que de nouveaux modèles comme les pédagogies centrées sur l'élève (pour les jeunes) ou d'accès sur demande à la connaissance (pour les adultes) pourraient en arriver à être plus rentables que le mode magistral, celui de l'enseignant parlant à sa classe.
d) Évolution de la conception de l'apprenant et de l'enseignant dans les travaux de recherche scientifique en psychologie de l'éducation
Les recherches sur l'apprentissage en classe ont successivement porté sur le comportement de l'enseignante ou de l'enseignant en tant que 1) distributeur de récompenses et de punitions; 2) transmetteur d'information; 3) guide des élèves dans leur réalisation de tâches scolaires. Parallèlement, on se représentait l'apprenant comme 1) un récipiendaire de récompenses et de punitions; 2) un récipient d'informations; 3) un interprète qui donne du sens aux choses. Enfin, les méthodes pédagogiques correspondantes mettaient respectivement l'accent sur 1) les exercices répétitifs voués à la maîtrise d'habiletés de base; 2) les manuels et les cours magistraux; 3) les discussions, l'exploration guidée, la participation supervisée à des tâches scolaires.
Cette tendance générale ne nie toutefois pas les efforts d'autres psychologues ou de pédagogues (comme Binet, Dewey, Freinet, Montessori ou Rogers) qui, par leurs actions et leurs remarques, ont exploré les possibilités et limites d'autres options pédagogiques. Elle ne rend pas non plus compte des perspectives de recherche émanant de la sociologie, de la philosophie, de l'histoire, etc. Mais elle capte en quelques mots l'essence du bagage scientifique inculqué à la plupart des enseignantes et enseignants pendant leurs années de formation. Il va sans dire que les cours de psychologie de l'éducation dispensés aujourd'hui sont plus riches que jamais. Qui plus est, la fertilisation croisée de ces approches a produit, par exemple, une vision plus inclusive du processus de traitement de l'information, qui intègre les activités de traitement (information) et de construction (connaissance), et qui permet tout autant de voir l'apprenante ou l'apprenant comme quelqu'un qui effectue une suite différenciée d'opérations mentales sur l'information reçue et qui stocke cette information ou comme quelqu'un qui procède de manière active à la sélection et à l'organisation de ses connaissances ainsi qu'à l'intégration de ses nouvelles expériences.
e) Les progrès accomplis par les technologies et les sciences cognitives créent les conditions nécessaires à un changement de paradigme en éducation.
Pour répondre à l'exigence persistante d'une explication de l'apprentissage en situation réelle, les chercheurs se sont servis des théories constructivistes. Pour la plupart des spécialistes en psychopédagogie et en psychologie cognitive, tout apprentissage significatif est une forme de construction active d'un savoir. On trouve une indication très claire de cette tendance dans la publication récente par la American Psychological Association de principes psychologiques axés sur l'apprenant, en collaboration avec le Mid-continent Regional Laboratory (McREL) des États-Unis. Au fur et à mesure que l'ordinateur multiplie les possibilités de mise en réseau et d'apprentissage individualisé, concret et de groupe, les lois et les principes pédagogiques reconnus les plus incontournables aujourd'hui peuvent être appliqués à une échelle beaucoup plus large. (Voir Grégoire, Bracewell & Laferrière,1996.)
2. APERÇU DES DIVERSES VISIONS EN PRÉSENCE FACE AUX CHANGEMENTS QUI SE DESSINENT
L'impact de l'arrivée des TIC est pour le moins évident et il n'est donc pas surprenant de constater qu'elles ont un effet perturbant sur le monde de l'éducation. Les personnels administratifs et enseignants ont fait face dans le passé -- avec un succès considérable -- à des forces de changement social tout aussi puissantes.
Mais les éducateurs ont peut-être encore en tête l'image traditionnelle de la situation d'apprentissage conventionnelle, le leitmotiv immuable de l'éducation formelle : "quelqu'un qui enseigne quelque chose à quelqu'un d'autre dans un contexte donné". Profondément ancrée dans l'esprit des gens, la formule "enseignant-enseigné" a fait, génération après génération, la preuve de sa valeur pour la société. Il existe évidemment diverses variantes de cette formule de base, et l'apprentissage non formel est en train de gagner droit de cité. La première est une formule qui a bien servi l'éducation, mais à laquelle sont associées les notions de compétition entre les apprenants et de sélection sociale. Maintenant que l'échec scolaire est considéré comme étant au détriment de la société dans son ensemble et que l'on fait la promotion de la capacité à travailler en équipe, combien d'éducateurs sont prêts à abandonner un peu de leur contrôle et à promouvoir la valeur de la formule "quelqu'un qui apprend quelque chose avec quelqu'un d'autre dans un contexte donné"?
Rares sont les personnes qui refusent catégoriquement de bouger face aux promesses monumentales des technologies de l'information, des communications et, faut-il ajouter, de la collaboration. Comme au moment de l'invention de l'imprimerie, la société est aujourd'hui en mesure de faire un gigantesque bond en avant. Pour l'humanité, le défi est immense et les perturbations qui inévitablement l'accompagneront doit être relevé à la fois avec dynamisme et prudence.
Le facteur de loin le plus important, ici, c'est de reconnaître
que les éducateurs n'ont pas toutes et tous la même perspective
quand ils considèrent la performance et le potentiel des TIC dans
leur propre secteur d'activité. Les leaders en éducation doivent
tenir compte de l'existence de ces visions divergentes. Essayons maintenant
de voir quelle est la perception primaire de la vague des TIC dans le milieu
de l'éducation et dans la société en général,
puis de jauger les caractéristiques de chaque groupe.
Toutes ces visions apportent une contribution importante à notre compréhension des problèmes et des défis qui sont aujourd'hui le lot du monde de l'éducation. Il est malaisé de prêter l'oreille à certaines voix et de faire la sourde oreille à d'autres. S'il est vrai qu'il est peut-être plus risqué de s'accrocher aux technologies de l'ère industrielle pour gérer l'éducation que de les remplacer, il serait tout aussi dangereux d'ignorer les signaux d'alarme de celles et ceux qui offrent des points de vue critiques. (Voir Cuban, 1993; Postman, 1995; Fédération canadienne des enseignantes et enseignants, 1997.)
Toutes les personnes investies de responsabilités -- que ce soit au niveau de la classe, de l'école ou du district scolaire, ou encore à la maison ou au sein des gouvernements -- ont à prendre des décisions de plus en plus difficiles quant à la façon la plus perspicace de réagir à cette autre victoire de l'humanité sur la nature : un univers branché.
3. CERTAINES CONSIDÉRATIONS RELATIVES À LA QUESTION DE LA RENTABILITÉ DE L'ÉDUCATION, UN ÉLÉMENT CRUCIAL RÉSULTANT DE L'ÉVOLUTION DU RÔLE DES ACTEURS ET DE L'UTILISATION DES TIC
Si la qualité nous tient à coeur, il serait illogique de réduire le nombre d'enseignantes et enseignants. Nous devons réfléchir aux questions de rentabilité dans le contexte de la nécessité plus contraignante encore de nous doter des systèmes d'éducation formels et non formels qu'exige la société de l'information. Nous faisons allusion ci-dessous aux principales possibilités ouvertes par les TIC : 1) elles peuvent appuyer les enseignantes et les enseignants dans leur travail et permettre une réallocation de certaines fonctions; 2) elles peuvent aider à faire des économies non négligeables au niveau des installations et de l'équipement, particulièrement, par exemple, dans le cas des systèmes éducatifs très étendus; 3) leur plus grand intérêt pourrait être d'enrichir le processus d'apprentissage et d'améliorer l'accès. Les arguments, les constats et les questions présentés ici pourraient guider le processus de prise de décision.
a) Tout au long de notre histoire, les nouvelles technologies ont encouragé de nouvelles formes d'interaction sociale.
L'arrivée de l'agriculture a entraîné le déclin du nomadisme, ce qui a profondément modifié les modes d'interaction des gens entre eux. L'ère industrielle a encouragé les gens à s'urbaniser. À l'ère postindustrielle, les voyages sont devenus à la mode. À l'ère de l'information, la distance entre de moins en moins en ligne de compte, poussée à l'arrière-plan par les possibilités croissantes de la téléprésence (de l'imprimé au téléphone, aux bandes audio et vidéo, aux vidéoconférences, à des applications comme CU-See-Me, à la réalité virtuelle, etc.). Les TIC ouvrent bien des possibilités nouvelles au niveau de l'enseignement et de l'apprentissage : 1) elles donnent un accès direct et flexible à l'information, libérant l'enseignant de la nécessité d'être la principale source d'information (CD-ROM et sites Web); 2) elles favorisent une convergence des propriétés de la photocopieuse, du téléphone, du télécopieur et, bientôt, de la télévision, améliorant de ce fait les communications (courrier électronique, listes de diffusion, chat et forums de discussion); 3) elles connectent les ressources entre elles, appuyant ainsi le travail d'équipe et la collaboration. Comment l'imagination et l'expertise des concepteurs et celles des éducateurs se rencontreront-elles dans les générations à venir?
b) Le rôle de l'enseignant doit être revu.
Les facteurs qui poussent cet acteur social que sont les enseignantes et les enseignants à s'adapter à la société de l'information s'apparentent à ceux qui, dans les années cinquante, les avaient mis au défi de s'adapter à une augmentation massive du nombre des élèves dans les écoles secondaires et, plus tard, dans les collèges et les universités. Le modèle de la chaîne de montage, qui était la technologie de pointe, en quelque sorte, de l'ère industrielle, a été emprunté pour plusieurs raisons, en particulier sa rentabilité. La démocratisation de l'enseignement a ainsi produit des écoles secondaires de grande taille, et des classes à grande clientèle au premier cycle des universités. C'est-à-dire qu'on a pris l'habitude de rassembler des centaines d'élèves au sein d'un même édifice où des spécialistes de telle ou telle matière dispensent leur savoir. La même chose est vraie à l'université, où la façon la plus économique d'organiser le temps d'enseignement du professeur est de rassembler au même endroit un grand nombre d'étudiants et d'étudiantes.
Cette formule du "travail à la chaîne" était peut-être acceptable quand le champ de la connaissance et le contenu à transmettre étaient beaucoup plus circonscrits et faciles à définir. La présente "explosion du savoir", combinée à une augmentation considérable du nombre de personnes terminant leur secondaire et entreprenant des études postsecondaires, pose des problèmes formidables à l'enseignant, problèmes qui n'existaient pas dans la "petite" école de l'ère précédente. Aujourd'hui, alors que les résultats ne réussissent plus à répondre aux attentes de la société, que les jeunes deviennent plus exigeants quand à l'éducation et à la formation qu'ils et elles veulent se donner, et que l'impression générale véhiculée est que les étudiants ne reçoivent pas une formation adéquate, il est évident que l'heure est venue de faire des changements! Par les progrès qu'elles apporteront durant la présente ère de l'information, les TIC réussiront-elles à transformer de façon spectaculaire le rôle de l'enseignant, ou à lui redonner pleinement son sens?
c) Le rôle de l'enseignant en changement et l'amélioration de la nature de son travail.
Comme nous l'avons vu dans le passé, l'avènement de l'imprimerie a amélioré, par un processus de différenciation, le travail de l'enseignant. On prévoit une transformation profonde de la nature même de l'apprentissage pour les nouvelles générations d'apprenants. Les réseaux et la communication sans fil nous libèrent déjà de contraintes spatiales et temporelles quand les activités d'apprentissage et d'enseignement peuvent être transposées dans d'autres salles de classe. Les enseignantes et les enseignants sont incités à mettre plus de dialogue dans leur pédagogie et à donner moins d'importance à la transmission d'information. Passant moins de temps "sur le podium", ils pourront en passer davantage "au côté" de l'élève.
On constate que des activités d'apprentissage interactives sur ordinateur peuvent inciter l'apprenant, individuellement ou en groupe, à s'intéresser à la matière étudiée. Les professeurs de sciences sont à la pointe de ce mouvement, redéfinissant leurs objectifs, leurs normes, leurs méthodes et leurs activités, et exploitent le potentiel d'un apprentissage basé sur les nouvelles technologies. Le Cadre commun des résultats d'apprentissage en sciences M-12, qui sera publié par le CMEC en octobre 1997, fait ressortir le lien entre les sciences et la technologie. Comment renforcer le rôle des pouvoirs publics et de la société civile, aux côtés de celui du secteur privé, dans cette réorganisation du travail de l'enseignant?
d) Les promoteurs de l'intégration des TIC à l'éducation affirment que l'ordinateur peut mettre l'expert en contact avec l'apprenante ou l'apprenant, n'importe où et n'importe quand, ce qui inverse le modèle de base où l'enseignant est seul avec plusieurs élèves dans un lieu unique à un moment précis.
Autrement dit, apprenants et enseignants sont appelés à penser différemment leur relation avec le temps et l'espace. En conséquence, le concept d'"éducation sur demande" (à domicile, au travail et à l'école) est plus qu'une simple expression accrocheuse : c'est de plus en plus une possibilité à laquelle les gens veulent avoir accès. Les systèmes d'apprentissage autodirigés (à deux voies, interactifs) ont commencé à faire concurrence à la classe dite "magistrale" (mouvement à sens unique de l'information). Dans une classe électronique, le tableau noir peut se métamorphoser en un grand écran qui permet à toutes les personnes présentes dans la salle d'échanger avec des personnes qui se trouvent dans une autre salle de classe, au moyen de deux caméras activées par la voix (de telles classes ont fait leur apparition en Norvège, par exemple). Combien de temps faudra-t-il pour surmonter les obstacles qui compliquent encore une fusion complète du tableau noir et de l'écran, au bénéfice de l'apprenante et de l'apprenant?
e) La rentabilité des outils pédagogiques : un facteur crucial.
Le Canada consacre déjà plus de 56 milliards de dollars à l'éducation (Conseil des ministres de l'Éducation (Canada), 1995). Plus que jamais, les systèmes d'éducation doivent faire plus avec moins. L'intégration des TIC ne fait qu'exacerber le problème. Au début du processus d'intégration, les TIC risquent d'être perçues comme superflues. Les pratiques pédagogiques restent les mêmes et les matériels multimédia appuyant directement le programme d'études approuvé sont encore plutôt rares. Autrement dit, les TIC sont simplement vues comme une dépense supplémentaire. Mais on peut déjà entrevoir que l'utilisation des nouvelles technologies comme outil amène à adapter les programmes d'études pour répondre aux nouvelles attentes de la société. Les TIC sont à concevoir comme un élément essentiel de l'infrastructure. La question n'est pas de réduire les dépenses, mais de reconnaître que les TIC deviennent indispensables pour l'entreprise éducative. Prenant en considération que les TIC sont disponibles et que la connaissance est une denrée en demande croissante, quantitativement et qualitativement, combien de temps faudra-t-il aux systèmes d'éducation pour réviser leurs pratiques?
f) La collaboration entre l'éducation et le secteur privé s'intensifie.
Face à une compétition qui se globalise, de nouvelles alliances se forgent et de nouvelles initiatives de collaboration sont lancées à l'échelon local, régional et international. Les établissements d'enseignement se voient mis au défi de devenir plus flexibles, de faire tomber les murs de leurs salles de classe et de construire des ponts entre les apprentissages réalisés à la maison, à l'école et au travail. Les universités, par exemple, sont de plus en plus actives sur la scène internationale. Leur "monopole" dans le domaine de la connaissance va-t-il prévaloir? Ne retrouve-t-on pas les trois dimensions de dispersion, de décentralisation et de diversité dans les technologies de l'information et des communications?
À court terme, il est peu probable que l'intégration des TIC aux systèmes d'éducation soit contrôlée par des impératifs de rentabilité. Il est raisonnable de prévoir une période de transition, pendant que les TIC transforment l'infrastructure sociotechnique des systèmes d'éducation. Mais il se pourrait que d'autres questions de rentabilité poussent les systèmes d'éducation à procéder plus rapidement à l'intégration des TIC.
4. POUR UNE STRATÉGIE DU CMEC DANS LE DOMAINE DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DES COMMUNICATIONS
Sous l'oeil vigilant du CMEC, d'impressionnants progrès ont été accomplis au cours des deux dernières années : les bases ont été jetées qui permettent aujourd'hui de faire les choix qui s'imposent au regard des objectifs à long terme et des orientations stratégiques qui assureront l'équilibre au sein des futurs environnements d'apprentissage intégrant les technologies nouvelles. Les activités suivantes pourraient se retrouver parmi les éléments d'une stratégie du CMEC sur les technologies de l'information et des communications en éducation.
A) dans le secteur de la recherche appliquée :
1. Appui au Système
d'information et de recherche sur l'éducation au Canada (SIRÉC),
une importante banque de résultats de recherche, pour lui donner
les moyens de mettre ses données à jour de façon continuelle.
2. Le CMEC pourrait accorder une attention particulière à
l'élaboration de mécanismes favorisant la circulation de l'information,
l'échange et la collaboration à l'aide des TIC, non seulement
dans les écoles, mais aussi au sein de la collectivité.
3. Le CMEC pourrait analyser le document "Les
apprenantes et les apprenants au XXIe siècle "
avec l'intention d'intégrer certains éléments de cette
vision à sa propre vision.
4. Le CMEC pourrait entreprendre la préparation d'un document
d'orientation sur les activités d'apprentissage intégrant
les TIC qu'il conviendrait d'encourager et d'appuyer au Canada.
5. Le CMEC pourrait faire faire une étude longitudinale de
l'impact socio-organisationnel des TIC sur les systèmes d'éducation.
B) à l'appui des projets en cours :
1. Le CMEC pourrait encourager les échanges de vues entre les
expertes et experts provinciaux et territoriaux, dans tout le Canada, sur
la question de l'utilisation des TIC en lien avec les programmes d'études
existants et avec de nouveaux programmes d'études.
2. Le CMEC pourrait collaborer en matière de formulation de
résultats d'apprentissage et d'élaboration d'instruments de
mesure liés aux TIC.
3. Le CMEC est invité à faire préparer un document
d'orientation sur les obstacles à surmonter pour rejoindre les clientèles
des systèmes d'éducation qui se trouvent dans des régions
isolées et sur l'aide que les gouvernements (fédéral,
provinciaux et territoriaux) pourraient fournir pour éliminer ces
obstacles.
C) pour bâtir sur l'expérience internationale :
1. Le CMEC pourrait préparer un document de travail sur la
pertinence et sur la faisabilité d'organiser des "journées
de l'Internet" dans chaque province et territoire du Canada.
2. Le CMEC pourrait faire produire un document d'orientation où
seraient examinés divers aspects des effets du flot considérable
et continuel d'information sur les réseaux de communication mondiaux
: aspect légal, question des droits de propriété, méthodologie
de sélection ordonnée et appropriée de l'influx de
données, etc.
3. Le CMEC pourrait préparer un document d'orientation traitant des modes de collaboration entre enseignantes et enseignants au moyen des réseaux électroniques.
BIBLIOGRAPHIE
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