Diversité culturelle - Texte d'opinion

La consommation : des répercussions interculturelles

Lorsque l'on songe à la diversité culturelle, on songe à l'ethnicité, la religion, la langue, la physionomie, l'idéologie mais il ne faudrait surtout pas oublier le statut socio-économique. Et ce qui constitue un très bon baromètre du statut socio-économique d'une collectivité donnée est son niveau de consommation. C'est en 1943 qu'Abraham Maslow, éminent psychologue américain, a identifié un ordre de priorité dans la satisfaction des besoins humains. Au premier niveau se trouvent les besoins physiologiques tels que manger, boire, dormir, se vêtir, s'abriter contre les intempéries, etc. Ces besoins doivent être comblés chaque jour et c'est en grande partie, voire uniquement grâce à la consommation que nous pouvons le faire : nous devons utiliser de l'eau, acheter de la nourriture, des vêtements, des meubles, etc.

En poussant plus loin le raisonnement, nous pourrions affirmer aussi que les autres niveaux de besoins (sécurité, amour et appartenance, estime de soi et accomplissement personnel) peuvent être aussi comblés par l'acte de consommer. Nous parlons alors plus souvent qu'autrement de "surconsommation". Elle se définit essentiellement non pas par la quantité d'achats qu'un individu peut effectuer, mais par le déséquilibre émotif associé à l'acte d'achat. La surconsommation met donc en cause les dimensions psychologiques du geste d'acheter telles les dimensions émotives du rapport à l'argent et à la consommation. Nous sommes de plus en plus pris dans l'engrenage de la surconsommation, mais sommes-nous vraiment coupables ?

L'étroite relation entre la surconsommation et la doctrine capitaliste n'est pas très difficile à illustrer. Le capitalisme prend naissance là où les besoins de l'homme peuvent devenir rentables monétairement. La majeure partie des pays industrialisés de la planète fonctionnent sous la doctrine capitaliste, depuis sa création suite à la Révolution industrielle en Angleterre au 18e siècle. Et l'Amérique du Nord n'y échappa évidemment pas. Nous sommes toutes et tous des consommatrices et des consommateurs dans l'âme et probablement dans les meilleurs de la planète. Le moyen le plus efficace de tenter le consommateur en nous est sans contredit la publicité. Longtemps avant Monsieur Bell et l'Agent Glad, la publicité existait sous forme verbale, écrite et visuelle. La publicité commerciale fut créée directement en réponse à la montée du capitalisme et du phénomène de consommation. Elle est maintenant omniprésente avec les poussées technologiques du dernier siècle qui donnèrent naissance à la radio, la télévision et plus récemment à Internet, et qui font de la publicité leur principale source de vie.

La célébration de la publicité est sans contredit la finale de la ligue de football américain : le Superbowl. Des multinationales paient des millions pour vanter leurs marchandises auprès d'un auditoire monstre. Des modes et des tendances se créent et nous y adhérons sans trop se poser de question : Pepsi au citron, Coke à la vanille, souliers Nike qui rebondissent, jeans kakhi Gap, chemises à carreaux Hilfiger, etc. Mais le fait est que plus souvent qu'autrement, ces multinationales produisent cette marchandise dans des conditions inacceptables. Et c'est ici que la consommation, et la surconsommation, deviennent un phénomène non plus matériel, mais bien plus culturel. Non seulement par le simple fait de consommer des choses différentes selon ce que notre culture propre nous promulgue, ainsi que ce qui nous est suggéré de consommer, mais aussi parce que l'acte de consommer peut en venir à avoir des répercussions directes d'une culture à une autre, comme en fait foi cette comparaison fictive entre le quotidien d'un enfant nord-américain et celui d'un enfant sud-asiatique :

" Trois-Rivières, Québec, samedi matin, 7h30. Philippe, 12 ans, est déjà devant le téléviseur à regarder son émission télévisée préférée, délibérant encore intérieurement à savoir si le dernier titre sur la Playstation 2 n'aurait pas été un meilleur choix. Dans une demi-heure, son père ira le conduire à sa pratique de soccer. Philippe n'a pas envie de se taper une heure de course, de dribles et de stratégies de terrain en ce jour chaud et humide de juillet. Surtout que la piscine de son voisin Michel devait être à une température plus qu'agréable et que l'énorme glissoire jaune était fonctionnelle depuis la veille. Mais il ne s'en faisait pas trop, car il partait l'après-midi même pour Montréal, histoire d'aller démystifier la nouvelle attraction de l'été à la Ronde: le Vampire. "

" Taipei, Taiwan, samedi matin, 7h30. Ming, 12 ans, n'a pas dormi de la nuit, il a grelotté sans cesse et le vent a soufflé plus fort qu'à l'habitude. Sa maison n'a pas de mur, ne serait-ce que pour les quelques morceaux de gypse qui en délimite la superficie, et un mélange de terre et de sable fait office de plancher. Aujourd'hui, Ming n'a pas envi de se lever. En fait, c'est le jour qu'il craint le plus depuis qu'il est en âge de comprendre sa réalité familiale. Depuis longtemps, son père n'a plus les moyens de faire vivre sa femme et ses trois enfants avec son maigre salaire de pêcheur. Avec la venue d'une nouvelle usine dans la ville, plusieurs pères, comme celui de Ming, auront l'opportunité d'avoir un emploi mieux rémunéré et ainsi, de pouvoir subvenir aux besoins de leurs proches. Aujourd'hui, Ming sera vendu à un entrepreneur taiwanais, qui travaille pour la multinationale à qui appartient l'usine, afin que son père puisse obtenir un emploi. Ming deviendra lui-aussi employé de l'usine et… collègue de son père. "

Nous sommes en 2002 et l'esclavage des enfants est bel et bien encore une réalité internationale. Les formes " traditionnelles " d'esclavage infantile existent depuis des lustres en Asie du Sud, en Afrique de l'Est et en Amérique Latine. Toutefois, de plus en plus de formes contemporaines d'esclavage d'enfants font leur apparition, comme celle décrite dans l'exemple ci-haut, et elles sont directement reliées à la constante croissance du phénomène de consommation dans les pays industrialisés : des enfants servent de monnaie d'échange pour l'obtention de contrats de travail destinés à des adultes, ou encore ils sont échangés contre des sommes d'argent ou des avances de salaire. L'esclavage des enfants a cours principalement là où existent des systèmes sociaux fondés sur l'exploitation de la pauvreté telle que la servitude pour dettes, le fait générateur étant l'endettement de la famille pour faire face à une obligation sociale ou simplement pour acquérir les éléments de sa survie. Ces pays, qui ne peuvent rivaliser avec les géants de ce monde, se tournent du côté de ce mode de fonctionnement économique, faute de solutions moralement plus acceptables.

Un des compétences que vise à faire acquérir l'éducation à la citoyenneté est de prendre connaissance et de comprendre les réalités internationales, qu'elles soient culturelles, sociales, politiques ou économiques. Nous voulons que nos enfants développent une attitude d'ouverture sur le monde et c'est en les confrontant à des cas comme celui de l'esclavage infantile relié au phénomène de consommation qu'ils réaliseront qu'il y a un énorme fossé entre le quotidien qu'ils vivent et le drame que vivent les enfants de l'esclavage. Il y a la diversité culturelle à proprement dit, mais il y a aussi une diversité " économico-culturelle " qu'il ne faut surtout pas oublier. Il faut faire comprendre à nos enfants qu'ils peuvent être reponsables, en partie et bien malgré eux, du sort que l'on réserve à d'autres enfants du monde. Évidemment, nous n'aspirons pas à la noble quête de sauver ce monde. Être conscient du fossé, le comprendre, le dénoncer et être capable d'en débattre, c'est déjà un grand pas que peuvent faire nos enfants. Un pas que tout adulte qui se respecte devrait aussi emboîter.

La consommation socialement responsable

Au cours des dernières décennies, nous avons été témoins de l'évolution de l'acte de consommer en une nouvelle forme, la surconsommation. Nous avons aussi été témoins de l'évolution d'une tout autre chose, l'esclavage infantile. La question qu'il faut maintenant se poser maintenant est la suivante : notre consommation est-elle néfaste ou inutile à notre santé et à notre environnement ? Et bien plus, notre consommation nuit-elle à la santé et au bien-être de nos semblables ? Parce qu'il ne faut pas renoncer à la consommation, il faut tout simplement consommer intelligemment. Et la réponse au phénomène de surconsommation typique en Amérique du Nord est la consommation socialement responsable. Et c'est aussi un simple geste que nous pouvons poser pour faire notre part dans la lutte contre l'esclavage infantile.

Il ne s'agit pas de renoncer à consommer et à acheter, mais plutôt de remettre en question notre mode de consommation compulsif. Il faut tout simplement apprendre à consommer en étant socialement responsable : avec beaucoup plus de modération et surtout, en étant parfaitement conscient de l'impact de nos gestes sur les personnes et sur l'environnement, que ce soit ici ou partout dans le monde. La consommation socialement responsable réside dans les choix que nous faisons : choisir entre un chandail fait dans un atelier aux conditions exécrables et un autre fait dans un atelier respectant les droits des travailleuses et des travailleurs; choisir entre un café qui passe par la route conventionnelle des multinationales et un café équitable dont le prix juste garanti aux petits producteurs le droit à une vie décente; choisir entre des denrées alimentaires fournies par de grandes multinationales et celles produites localement, etc

La consommation est omniprésente dans le quotidien de l'être humain, ne serait-ce parce qu'il a des besoins à combler pour sa survie. Elle devient donc un élément central de la culture et des mœurs d'une collectivité donnée. Évidemment, chacun consomme à sa manière. Les hommes et les femmes préhistoriques faisaient des pieds et des mains pour obtenir de la nourriture, il y a de cela des millions d'années. Aujourd'hui, plusieurs hommes et femmes ne savent pas s'ils auront de quoi se nourrir en se levant le matin. Toutefois, la situation est maintenant paradoxale car certains autres hommes et femmes se demandent s'ils n'iront pas se faire servir un repas par quelqu'un d'autre plutôt que de s'en préparer un eux-mêmes… La consommation est un phénomène culturel au même titre que la plus pure coutume d'un peuple. C'est pourquoi elle doit faire l'objet d'une conscientisation, ne serait-ce que pour réaliser que chaque fois qu'elle nous pousse à faire un acte, un acte culturelle par la définition qu'on lui donne ici, il peut y avoir des répercussions directes sur une autre culture. Et des répercussions qui ne sont vraiment pas toujours positives. Pensons à Ming… Parce qu'il existe certainement en quelque part.

Par Guillaume Bouillon