La notion dacteurs implique un sens particulier, celle dassocier tous les intervenants au sein dun même creuset, celui de la pratique. Ici, point question de statut et de hiérarchie, de fonctions, de rôles et de responsabilités préalablement définis avant même que les tâches dun apprentissage ou dun travail aient été contextuellement initiées. Tout repose en fait sur une finalité acceptée et agrée par tous les participants, celle de la résolution collective de problèmes, de lalignement dune trajectoire orientée vers l'exercice dune pratique conjointe et de la construction d'une vision partagée fondée sur des stratégies négociées permettant de solutionner une question complexe associée à une discipline donnée ou à un domaine d'application profesionnelle.
Réside dans cet énoncé, un ensemble de variables qui renvoie à dautres référents conceptuels tels que la co-gestion de l'information, la co-construction des connaissances, la co-expertise entre les pairs, le leadership partagé, le co-apprentissage ou lapprentissage par les pairs, lempowerment, le coaching et le mentorat, lapproche par projet. Bien sûr, ces concepts sont intimement liés au contexte dun apprentissage, dun perfectionnement ou dun travail en réseau. À ce titre, ce sont des catalyseurs sous lesquels la pratique communautaire peut être vivifiée et bonifiée. En soi, ces notions modulent les rapports entre acteurs et contribuent à rendre lexpérimentation viable et profitable. Elles sont une partie complémentaire des pôles unificateurs et des processus intégrateurs que nous aborderons dans la dernière section de cette présentation.
Les définitions proposées par certains auteurs et praticiens sentrecoupent bien quelles exposent une vision particulière de leur domaine d'expertise ou de spécialisation. Ces définitions se raccordent souvent à une expertise professionnelle issue du domaine de la gestion organisationnelle. Elles se rattachent à la gestion des connaissances et au capital intellectuel (Knowledge management) mais comportent aussi de puissantes connotations éducatives. Cest sans doute pour cette raison que Peter et Trudy Johnson-Lentz insistent beaucoup plus sur les facteurs de co-proximité et de co-gestion des processus résolutoires amenant les acteurs à solutionner ce quils désignent comme des catégories communes de problèmes auxquels ils sont confrontés quotidiennement. Les notions de co-entraide et de co-apprentissage sont implicites aux rapports sociaux et culturels que les acteurs entretiennent entre eux. La définition des Johnson-Lentz inclut la création et le développement dun répertoire commun de connaissances appliquées à une résolution de problèmes. Pour ces consultants organisationnels, la communauté de pratique en réseau s'organise autour d'une notion dassociation et de partenariat construite souvent de façon informelle : " a group of professionals, informally bound to one another through exposure to a common class of problems, common pursuit of solutions, and thereby themselves embodying a store of knowledge ".
Les Johnson-Lentz désignent tout ce processus sous l'appellation de business telecommunity. Selon ce modèle, les participants interagissent dans le temps et lespace en termes déchange dinformation (community of interest), de partage des connaissances (community of practice) et de création de connaissances (collaborative community) en se faisant mutuellement confiance et en entretenant des rapports signifiants et constructifs sur une base quotidienne. Selon ces spécialistes, les interactions sociales produisent des effets bénéfiques et cumulatifs. Elles sont perçues comme un puissant levier de création et dintégration des connaissances en vue de planifier des stratégies et des actions réfléchies conduisant à une résolution de problèmes plus collective et plus novatrice.
Lallégorie de l'association est aussi perceptible chez John Seely Brown. Le partenariat renvoit davantage au co-apprentissage; les acteurs sont conviés à partager des perspectives négociées et à comprendre le construit de chaque perspective individualisée avant quelles ne deviennent un attribut de la collectivité : " they are peers in the execution of " real work ". What holds them together is a common sense of purpose and a real need to know what each other knowns ". À linstar des Johnson-Lentz, la communauté de pratique en réseau devient un incubateur social de partage et de création de connaissances. Toute sa synergie se co-construit autour dune vision partagée des stratégies devant être appliquées à une résolution de problèmes. Comme en témoigne Robert Bauer, cadre supérieur à Xerox PARC, la communauté de pratique engendre des interactions génératrices dinnovation. Ceci conduit inévitablement à sinterroger continuellement sur les pratiques les plus prometteuses à convenir, adopter et appliquer. George Pòr de la Community Intelligence Labs, une firme de gestion et de consultation établie en Californie, nous souligne cet important dividende lorsqu'il nous propose sa définition de la communauté de pratique : " More than a " community of learners ", a community of practice is also a " community that learns ". Not merely peers exchanging ideas around the water cooler, sharing and benefitting from each others expertise, but colleagues commit to jointly develop better practices ".
Cette co-proximité avec des problèmes communs, cette co-perception des objectifs, ce co-apprentissage et cette co-entraide entre les participants peuvent cependant être regroupés dans trois sphères distinctes et interreliées : la co-gestion de l'information, la co-construction des connaissances et la co-expertise entre les participants. Elles représentent le principal creuset de la matrice, ses contenus et sa finalité.
Étienne Wenger est un chercheur qui s'est intéressé aux processus de la pratique communautaire à des fins d'apprentissage et/ou de travail. Ses réflexions ont débuté dès la fin des années 1980. En collaboration avec Jean Lave, il a publié, en 1991, une étude phare intitulée Situated learning : Legitimate peripheral participation. Déja, à l'époque, cette notion transposait toute l'importance de la culture et du contexte situé dans l'acquisition des savoir et des savoir-faire. Une attention particulière était aussi accordée au savoir-être, véritable catalysateur du comment on enseigne et du comment on apprend. Ces idées-maîtresses se sont développées au fil de la décennie des années 1990, entre autres, à l'intérieur d'un article, publié en 1996, dans le Healthcare Forum Journal. Sept principes-clés articulaient toute sa démarche:
Ces sept principes sont à l'origine de travaux plus exhautifs. Dans une étude intitulée Communities of practice. Learning, meaning, and identity et publiée en 1998, Wenger s'attarde plus particulièrement aux différentes facettes de la pratique, à ses processus de participation, d'engagement, d'identité, d'appartenance, de négociation et d'appropriation. Il s'intéresse à la résolution de problèmes, au construit collectif, cette finalité de l'exercice qui se réfère initialement aux interactions et aux actions dans le temps et l'espace. Cette résolution collective est néanmoins constituée d'attributs, de pôles, de processus et d'outils que nous avons identifiés et développés en se référant aux travaux de Lave et de Wenger (Lave et Wenger, 1991; Wenger, 1998).
1. La perception et l'interprétation des outils de travail
Toute communauté
de pratique, en réseau ou en face-à-face, pose des
actions et des interactions explicites ayant des répercussions
tant individuelles que collectives. Chaque participant, chaque
groupe de travail formant une communauté évoluent
dans un contexte et un environnement de travail déterminé,
par exemple une classe ou un service. Tous entretiennent individuellement
et collectivement des rapports signifiants avec les objets utilisés
pour accomplir les tâches assujetties à leurs rôles
et leurs responsabilités dans la classe ou l'organisation
(i.e. comment interpréter les objectifs à atteindre,
la directive x, comment planifier sa tâche pour qu'elle
respecte les échéanciers, comment résoudre
un problème selon les normes et les standards autorisés,
comment et quand communiquer de l'information à ses pairs
et à ses supérieurs, etc.). À travers les
diverses ressources proposées se glisse une interprétation
de ce que les individus se font de la classe, de l'organisation
et de leur travail.
2. La perception et l'interprétation des cultures au sein
de l'organisation
Un second point d'ancrage se manifeste dans les façons d'accomplir les tâches entre les divers individus, peu importe qu'ils se retrouvent dans une classe ou un service. Malgré une normalisation, quelquefois plus souvent souhaitée qu'appliquée, les individus comme les lieux de travail peuvent posséder leurs codes fonctionnels et leurs procédures informelles différents d'une classe à une autre, d'un service à un autre. Les participants exercent une ou des pratiques propres à leurs rôles et leurs responsabilités au sein de la classe ou de l'organisation. Ces pratiques sont à la fois génériques et distinctes. On peut ainsi percevoir entre le local et le global, différentes cultures et sous-cultures organisationnelles ou institutionnelles. Elles sont parfois associatives et complémentaires et, en d'autres occasions, plutôt en compétition et divergentes. Tant d'un point de vue individuel que collectif, ces cultures et sous-cultures influent sur la performance des acteurs. Lorsqu'elles épousent et se conforment à la culture dominante, celle promouvant à la fois une philosophie et des façons de faire agrées par la classe ou l'organisation (i.e. une méthodologie spécifique, une approche-projet, une approche-client, une approche fondée sur la qualité totale), elles favorisent une cohésion dans l'action ; lorsqu'elles s'en écartent, ces cultures et sous-cultures produisent l'effet contraire.
3. La perception et le positionnement des participants au sein des zones de participation
À l'intérieur d'une classe, d'un groupe de travail ou d'une entité plus large, il se dessine toujours des zones de participation où les individus sont conviés ou écartés de la prise de décision. Des espaces intangibles se créent entre ceux qui sont au centre des prises de décision, ceux que l'on initie de façon périphérique, ceux que l'on marginalise de façon consciente ou inconsciente et ceux à qui l'on a conféré une fonction d'observateur. Plus une classe ou une organisation investit dans la gestion des écarts entre la marginalité, la périphérie et le centre, plus elle s'assure d'une régénération de son capital " connaissance " et de sa capacité à résoudre de nouveaux problèmes à moyen et long terme. Moins elle y porte une attention, plus elle est devient encline à se scléroser autour de détenteurs d'information et de pouvoir arbitrairement fermés au changement et à l'innovation.
4. La gestion coordonnée des ressources
Au quotidien, l'interprétation qu'on se fait des objets de travail, les façons individuelles et collectives d'exécuter les tâches et le positionnement des acteurs au sein d'un groupe influent directement sur les capacités de la classe ou de l'organisation à coordonner et à faire converger les compétences de tous et chacun en vue d'assumer les mandats et les missions qu'elle s'est dotée. Faute de coordination et de convergence appropriées, certains projets sont hypothéqués dès le départ, avant même que l'on ait organisé un canevas de réalisation. En proposant des catalyseurs de regroupement associés à l'engagement, l'imagination et l'alignement, la communauté de pratique en réseau offre à la classe ou à l'organisation une possibilité d'apprendre et de réfléchir sur les ressources et les moyens dont elle dispose et qu'elle pourrait mieux exploiter collectivement.
1. Le catalyseur de l'engagement mutuel
L'engagement mutuel est d'abord fondé sur la connaissance de soi, de ses compétences, de ses limites et de ses contraintes (i.e. je peux ou ne peux pas effectuer telle tâche, je maîtrise ou ne maîtrise pas telles connaissances, je possède ou ne possède pas des habiletés dans un ou plusieurs domaines, j'ai développé ou n'ai pas développé des attitudes de tel genre, etc.). Cette réflexion sur ses capacités de travail au sein de la classe ou de l'organisation est intimement liée à la reconnaissance de celles des autres (i.e. lui ou elle est capable d'assumer telle responsabilité, lui ou elle possède telle expertise dans ce domaine, lui ou elle a déjà expérimenté cette situation, etc.). Dans une communauté de pratique en réseau, cet engagement souscrit à un espace d'échange. C'est une zone initiale d'appartenance où les participants sont appelés à déblayer et à prendre conscience ensemble du potentiel que chacun à offrir à l'autre au sein d'un contexte et d'un environnement de travail définis qui comportent des objectifs visés, des ressources à exploiter et des finalités à atteindre selon un échéancier déterminé.
Cette mutualité entre partenaires sous-tend un déploiement collectif des compétences recensées au sein d'une situation de travail. Des zones de participation et d'échange en réseau sont aménagées pour permettre aux participants de dégager au sein du groupe de travail une première réflexion sur l'organisation et la planification des actions à poser et des tâches à réaliser : partage et négociation d'énoncés favorisant la construction d'une vision partagée du problème à résoudre (ententes sur des objectifs et des moyens communs) ; partage et négociation de stratégies potentielles pouvant mener à une résolution de problèmes efficace (ententes sur des façons de faire conjointes). Il s'agit alors d'analyser les constituantes d'un problème (sa problématique organisationnelle en fonction des ressources, des outils et des méthodologies mises à la disposition des intervenants) et de proposer, soumettre et statuer sur des solutions potentielles permettant une résolution réfléchie du problème. Un partage des rôles et des responsabilités est esquissé lors de ces situations de travail à l'intérieur même des zones de travail réservées à ces fins. Ces espaces en réseau deviennent autant de lieux de mémoire qui signalent les pistes d'exploration suggérées et scrutées, la documentation accumulée, analysée et traitée, les méthodologies esquissées, modifiées et retenues, enfin, les solutions initiées, critiquées et agrées.
2. Le catalyseur de l'imagination
Cette première orientation en réseau du travail de groupe repose aussi sur des explorations extérieures à la dynamique communautaire qui prennent forme au sein d'une zone de prospection. La communauté de pratique en réseau a besoin de se référer à d'autres situations de travail analogues pour pouvoir comparer ce qui est possible de faire et pour pouvoir emprunter et adapter, s'il y a lieu, des outils et des méthodologies ayant déjà été éprouvés favorablement dans la recherche de solutions adaptées à une résolution de problèmes analogue. L'imagination des uns et des autres à pouvoir prospecter l'extérieur génère un retour réflexif et continu sur les comment faire en réseau. Elle précise les constituantes de la vision partagée et la potentialité des stratégies esquissées : Quelles sont les compétences disponibles ? Qui les possèdent ? Comment et quand peuvent-elles être mises en uvre ? Quels sont les référents méthodologiques retenus ? Qui les maîtrisent ? Qui les normalisent ou les standardisent pour qu'elles deviennent conformes aux normes de la classe ou de l'organisation ? Quels sont les outils technologiques retenus ? Sont-ils disponibles actuellement ? Quelles sont les personnes-ressources retenues pour fins de consultation et d'expertise ? Quand sont-elles disponibles et comment peut-on les contacter ?
3. Le catalyseur
de l'alignement
Toute entreprise de groupe se déroulant dans un contexte
de travail en réseau est sujette à un cadre d'alignement
et de juridiction qui suggère et propose des choix et des
avenues et impose et prescrit des lignes d'horizon à ne
pas franchir. À cet égard, l'action et l'intervention
de tout apprenant ou acteur organisationnel sont soumises à
des formes de contrôle et d'autorité. Les rôles
et les responsabilités distribuées, les compétences
déployées, les méthodologies retenues, les
stratégies envisagées doivent être légitimées
et validées auprès d'autorités, le titulaire
d'une classe ou les membres d'une direction. Un plan de travail
ou un plan de communication et une description de mandats sont
généralement employés pour communiquer cette
information auprès des instances décisionnelles.
Ce sont des balises d'orientation qui s'appliquent aussi à
la communauté de pratique en réseau à l'intérieur
d'une zone de convergence. Une fois le processus validé,
des stratégies d'organisation et de planification en réseau
entrent en scène à l'intérieur d'une zone
de coordination. Un plan de réalisation décrivant
les objectifs conjoints, les tâches communes, les responsabilités
conférées, les échéanciers prescrits
est élaboré en réseau et autorisé
par le groupe de travail et les instances décisionnelles.
Il est attenant à un plan de suivi qui informe et tient
compte de la progression des travaux et des difficultés
encourues. Au sein de la communauté de pratique en réseau,
à ce stade, se dégagent les premiers bilans de l'expérience
vécue en équipe. Aux zones d'appartenance, de participation
et d'échange, de prospection, de convergence, de coordination
se greffe une dernière zone, celle de l'évaluation
qui mesure les co-connaissances acquises et les bénéfices
tangibles pour la classe ou l'organisation.
Trois pôles unificateurs et trois processus intégrateurs, directement associés à la pratique communautaire, permettent de canaliser l'énergie créatrice de ces différentes zones en réseau vers des résolutions et des innovations. Les pôles définissent des façons d'être et de se comporter alors que les processus établissent des façons de faire et de réaliser.
L'ensemble des zones d'interaction (i.e. zones d'appartenance, de participation et d'échange, de prospection, de convergence, de coordination et d'évaluation) se ramifie autour de trois pôles unificateurs : l'engagement mutuel, l'entreprise conjointe et le répertoire partagé de ressources. Ces pôles ont pour objectif général de rendre cohérentes toutes les actions déployées dans le but de résoudre collectivement un problème. Ils soulignent l'importance de se regrouper en équipes de travail et de se questionner sur les moyens et les stratégies à développer pour parvenir aux fins visées. Ils permettent de cojuguer les expériences diversifiées des participants - les savoirs explicite et tacite et les points de vue individualisés - à une négociation des sens et des significations requis pour solutionner collectivement un problème d'ordre académique ou professionnel :
1. L'engagement mutuel
À ce titre, l'engagement mutuel est avant tout la participation interactive et convergente des membres d'un groupe qui sont interpellés au sein de l'espace virtuel de collaboration. Les membres sont conviés à développer ensemble leur compréhension d'un ou plusieurs problèmes propres à une discipline ou un domaine donné d'application professionnelle. Un questionnement inductif soutient l'identification préliminaire des points de convergence et de divergence : Quelles hypothèses de travail à développer ? Quelles compétences à déployer ? Quelles procédures à appliquer ? Quelles méthodologies à adopter ? Quels outils technologiques à privilégier ? Ces questions se circonscrivent à une première intention, celle de définir conjointement une problématique de travail.
2. L'entreprise conjointe
Cet engagement se définit grâce à un projet réfléchi. L'entreprise conjointe souscrit à la co-construction d'une stratégie convergente de résolution de problèmes. Les défis se circonscrivent alors à pouvoir :
3. Le répertoire partagé de ressources
Un répertoire partagé de ressources (i.e. ressources matérielles [équipements technologiques], ressources financières [budgets] et ressources humaines [capital intellectuel]) est mis en commun pour favoriser la poursuite des buts à atteindre de telle sorte que les participants puissent :
De ces comportements souhaités, en filigrane de ces pôles unificateurs, se dessinent trois processus intégrateurs : celui de la participation et de l'engagement, celui de l'identification et de l'appartenance, celui de la négociation et de l'appropriation. Ils permettent d'articuler une démarche fonctionnelle liant entre elles les différentes zones d'interaction (i.e. zone d'appartenance, de participation et d'échange, de prospection, de convergence, de coordination et d'évaluation).
1. La participation et l'engagement
Le premier processus est ponctué de verbes d'action qui incitent les participants à prendre part, initialement de façon individuelle puis de façon collective, à l'élaboration de stratégies. Il s'agit, dans un premier temps, d'explorer et de repérer individuellement des possibles (hypothèses de travail, méthodologies, mandats, applications) pour pouvoir, dans un deuxième temps, les analyser, les interpréter, les critiquer, les soumettre afin de décider collectivement de leur intégration au processus de la construction d'une vision partagée. Éclôt une première forme de concertation réfléchie ainsi qu'un lieu de mémoire où sont emmagasinées les interrogations et les interpellations de tous les participants. De ce premier processus naissent les premières formes de mutualité, les premières ébauches de négociation qui façonnent les manifestations embryonnaires de l'identification et de l'appropriation requises à l'élaboration de stratégies collectives de résolution de problèmes. Ce processus ramifie ensemble les zones d'appartenance, de participation et d 'échange, de prospection de la communauté de pratique en réseau.
2. L'identification et l'appartenance
Le second processus, celui de l'identification et de l'appartenance, s'intègre à la suite du premier processus. À partir d'une vision partagée, on se dote, en équipe, d'outils communs pour déterminer des échéanciers et planifier des stratégies. Il est aussi question de se distribuer des rôles et des responsabilités et de se donner une trajectoire de travail de sorte que l'on puisse assumer collectivement la vision partagée dont l 'équipe de travail s'est dotée. Apparaissent dans le décor des fonctions plus précises comme le responsable des communications, le responsable des aspects logistiques, le responsable des aspects méthodologiques et le responsable des aspects technologiques. Le lieu de mémoire s'enrichit des décisions prises en coopération et en collaboration et l'intelligence collective se manifestent à travers les responsabilités souscrites dans un plan de travail, pour la classe, ou un plan de communication et une description de mandats, pour l'organisation. De l'élaboration d'une résolution de problèmes, on est passé à sa planification. Ce processus intègre la zone de convergence de la communauté de pratique en réseau.
3. La négociation et l'appropriation
Le troisième processus, celui de la négociation et de l'appropriation collectives, en est un d'action, de mise en application et d'évaluation. Les participants résolvent des problèmes en réseau. Ils se munissent d'un plan de réalisation qui spécifie comment et par qui les stratégies sont appliquées. Ils se dotent aussi d'un plan de suivi qui informe de la progression des travaux et rectifie, s'il y a lieu, la trajectoire. Ils intègrent, de façon individuelle et communautaire, leur vision partagée du problème et l'intelligence collective qui découle de leurs actions et interactions déployées au quotidien. L'expertise qui s'en dégage s'inscrit à l'intérieur d'une mémoire consignée, commémorative, accessible et pérenne. Ils évaluent alors leur rendement par rapport aux attentes et objectifs de départ. La classe ou l'organisation s'accaparent des bénéfices collectifs qu'elles peuvent transférer à d'autres situations de travail ; les individus s'approprient des nouvelles connaissances et expertises qu'ils ont acquises au sein de cet environnement de travail en coopération et en collaboration. Ce dernier processus incorpore alors les zones de coordination et d'évaluation d'une communauté de pratique en réseau.
Bien sûr, la communauté de pratique en réseau utilise des outils électroniques d'information et de communication en réseau. Dans sa plus simple expression, un site Web de références,un forum de discussion en temps asynchrone et une ou des bases de connaissances constituent l'outillage requis pour permettre aux participants de repérer, d'analyser, d'interpréter, de critiquer, d'échanger et de conserver des informations, des méthodologies, des stratégies et des résolutions. Le mode de communication en temps asynchrone est privilégié par rapport à celui des échanges en temps réel beaucoup moins performant pour stimuler la réflexion analytique et critique d'un problème.
À cause de ses ramifications sociales et culturelles, la communauté de pratique en réseau a tout intérêt à adopter un modèle axé sur un mode participatif au lieu d'un mode essentiellement communicatif orienté principalement sur une échange bidirectionnel d'informations brutes d'un à un. Les relations de plusieurs à plusieurs et multidirectionnelles doivent prendre le pas pour permettre l'élaboration et la planification d'une résolution de problèmes se voulant plus collective, plus concertée et plus enrichie.
Le site Web de références sert de premier ancrage à la démarche. Il signale, présente et donne accès à la documentation requise au démarrage du projet, décrit sommairement les objectifs visés, identifie les participants et leur adresse électronique. Le forum de discussion, quant à lui, devient le principal outil de collaboration et de réalisation. Il supporte toute la problématique reliée à l'éclosion et au développement de la communauté de pratique en réseau à travers les différentes sous-conférences exploitant autant les pôles unificateurs et les processus intégrateurs décrits plus haut. Les bases de connaissances se créent à la fin de l'exercice. Elles mémorisent les acquis de même que les perspectives abordées. Elles deviennent des témoins de l'activité passée, de la résolution de problèmes assumée collectivement.
Nous suggérons la création d'équipes de travail constituées minimalement de quatre à dix participants. On peut toutefois entrevoir un groupe de participants plus volumineux pour les organisations. Quinze à vingt personnes constituent, à première vue, le seuil maximal bien qu'il soit possible de regrouper un nombre plus considérable à la lueur d'une expérimentation réussie (Benoit, 2000). Ces groupes doivent pouvoir bénéficier d'une autonomie décisionnelle suffisamment ample pour pouvoir négocier des valeurs leur permettant de co-gérer la trajectoire collective requise à la résolution d'un cas, d'une question ou d'un problème. Sous ce format, il est également plus aisé de coordonner le travail du facilitateur (un professeur, un enseignant, un gestionnaire, un chef de projet et/ou un observateur) en fonction des objectifs visés et des finalités à atteindre sans hypothéquer ou scléroser pour autant les rôles et les responsabilités dévolus à chaque membre de la communauté de pratique.
Le rôle du facilitateur est de régulariser les écarts à l'intérieur des espaces de participation d'une communauté de pratique en réseau. Il doit restreindre au maximum la marginalité tout en soutenant, le plus possible, le cheminement des participants situés à la périphérie pour qu'ils atteignent, sans encombres, le centre où se prennent les décisions. Le facilitateur a également comme mandat de veiller à ce que les transitions entre les différentes zones associées à la communauté de pratique en réseau (i.e. zones d'appartenance, de participation et d'échange, de prospection, de convergence, de coordination et d'évaluation) se fassent de façon cohérente. Son rôle se circonscrit à la régularisation de la progression des membres tant d'un point de vue individuel que collectif. Pour ce faire, il peut solliciter l'aide des observateurs localisés dans la zone de non-participation et/ou des membres les plus expérimentés de la communauté de pratique en requérant, de façon privée (courriel), leurs services. Il doit aussi faciliter tout le processus de construction des connaissances en tenant compte des principes clés qui caractérisent ce phénomène.
Les approches d'accompagnement et de facilitation prennent appui sur des techniques d'intervention associées à l'empowerment, au coaching, au mentorat et à l'apprentissage par les pairs. Elles se manifestent in situ au gré des besoins créés par les négociations et les décisions. Ces techniques se mettent au service de la résolution de problèmes que tous les membres engagés dans les processus - facilitateur et participants - vont s'approprier, d'une façon plus distribuée, à la toute fin de l'exercice.
Toutes ces interventions d'accompagnement et de facilitation sont cependant régis par la notion de participation légitime périphérique (PLP/LPP) (legitimate peripheral participation), un concept de participation développé par Lave et Wenger (Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 1998). De fait, cette notion facilite l'appartenance et le passage entre ceux qui s'initient et ceux qui se sentent plus à l'aise ou qui maîtrisent plus facilement les contenus et les outils. Des convergences se déploient vers le centre des activités de la communauté de pratique assurant ainsi une insertion graduelle des novices aux experts de même que la reproduction et la régénération des compétences, des habiletés et des attitudes à court, moyen et long terme. Responsabilité assumée, perception individuelle de ses compétences, de ses contraintes, de ses limites, perception et acceptation de la contribution des autres, empathie, respect (propriétés de l'empowerment, de cette capacité d'apprendre des autres et de travailler en équipe) ; co-expertise et co-connaissance partagées (propriétés de l'apprentissage par les pairs) ; sollicitation de questions, de réponses, de stratégies, de plans et d'expériences, éclaircissement et explication de questions techniques, méthodologiques et/ou procédurières, proposition et orientation de directions, justification des choix, synthèse des questionnements soumis, des réponses proposées, des stratégies énoncées, des plans esquissés et des actions déployées (propriétés du coaching et du mentorat) sont autant de moyens pour aider les participants à cheminer de la périphérie vers le centre et de les intégrer, de façon plus conviviale, à une pratique distincte et définie.
Tous ces moyens se mettent également au service de la construction des connaissances, une notion expérimentée, entre autres, par Marlene Scardamalia et Carl Bereiter, à partir de la décennie de 1990 (CSILE). L'empowerment, le coaching et le mentorat, l'apprentissage par les pairs assurent, chacune à sa manière, un certain dépassement de ce que nous concevons comme étant un capital connaissance mis socialement au service de l'atteinte d'un but collectif prédéfini d'avance (la compréhension, la résolution et l'appropriation d'un problème donné d'ordre académique ou professionnel). Les interpellations de Carl Bereiter et de Thomas Stewart sur le "capital connaissance" ou le "capital intellectuel" dénotent qu'il nous faut investir obligatoirement de nouvelles façons de faire et de nouvelles façons d'être. La construction des connaissances sera toujours connectée à un réseau où acteurs et idées sont intimement liés à un contexte en constante mutation, des objets culturels multiformes, des pôles et des processus pro-actifs orientés vers une négociation des sens et des significations à la fois individuelle et collective.
L'accompagnement et la facilitation s'articulent ainsi autour de zones d'incubation où les perceptions de chaque membre sont confrontées à celles des autres dans un climat de respect, d'attention et de confiance invitant la co-construction. Ce sont également des antichambres où chacun peut investir, en consensus avec les autres, des rôles et des responsabilités tout en continuant de participer aux prises de décision collectives. Ce sont aussi des zones de travail réflexif, de travail prospectif où la pratique se manifeste dans l'action concertée de la planification stratégique. Ce sont enfin des zones de travail productif où s'appliquent des stratégies collectives aptes à résoudre des problèmes conjoints.
De façon à illustrer l'expérimentation de cet espace de travail en collaboration, nous proposons au lecteur un design relativement simple : la constitution d'équipes de travail, la construction d'un site Web de références et la constitution de bases de connaissances de même que l'accessibilité à deux conférences principales en temps asynchrone qui sont à la fois complémentaires et progressives en termes d'actions et d'opérations planifiées. Deux formes peuvent être cependant envisagées pour expérimenter une communauté de pratique en réseau : une première se voulant plus aléatoire au chapitre de l'organisation des processus associés à la résolution de problèmes et une deuxième nettement plus orientée en ce qui concerne la planification statégique.
Dans les deux cas, la même finalité est poursuivie. Tout repose sur l'éclosion et le développement de relations gagnantes-gagnantes entre les partenaires-participants. Qu'elle soit entreprise sous une forme moins ordonnée ou plus directionnelle, la communauté de pratique en réseau est constituée à partir d'un canevas analogue. Son design est caractérisé par des éléments génériques qui remplissent une fonction précise :
L'ensemble entier canalise, de façon intentionnelle, l'activité communautaire en fonction de faire interagir les processus de participation et d'engagement, d'identification et d'appartenance, de négociation et d'appropriation de sorte que l'on puisse efficacement résoudre un problème d'ordre académique ou professionnel. Ce mode de fonctionnement souscrit à des avantages certains que nous pourrions résumer au moyen des énoncés suivants :